Il rêve près
du feu qui pétille et qui chante,
Le pauvre
homme, si seul, en cette nuit qu’enchante
L’écho du
carillon joyeux du vieux clocher.
Il rêve aux
vieux noëls, et ses yeux vont chercher,
Dans la
flamme joyeuse, un souvenir d’ivresse,
Souvenir de
bonheur, d’amour et de tendresse.
Cette nuit
où, tout seul, il se sent malheureux,
Tout son
passé revient vivre devant ses yeux.
C’est
d’abord le Noël de la joyeuse enfance,
Le Noël
qu’on attend de longs mois à l’avance,
Qui charme
les enfants et fait rêver les vieux,
Celui des
tout petits, charmant, mystérieux,
Alors qu’on
s’en allait tous ensemble à l’église,
Se cachant
jusqu’au front, dans sa crémone grise ;
Et quand on
arrivait dans le temple, là-bas,
Étouffant
avec soin, le bruit sourd de ses pas,
On
s’arrêtait, saisi par l’éclat des lumières,
Le chant
joyeux de l’orgue et l’air plein de mystères ;
Et, plus
loin, tout au fond du sublime décor,
Le prêtre,
en son costume aux longues franges d’or ;
L’autel
resplendissant d’un éclat féerique,
Tout ce
luxe, pour nous, mystérieux, magique,
Qui nous
laissait ravis, les yeux extasiés
Errant tout
à l’entour, jamais rassasiés.
Puis, quand
on allait voir, sur sa couche de paille,
Le petit
Enfant-Dieu, près du gros bœuf qui bâille,
On oubliait
soudain les lumières, le chant,
Pour ne plus
contempler que le petit Enfant.
Puis, un
autre Noël, celui de la jeunesse,
Alors qu’il
s’en allait gravement à la messe,
Jeune homme
de vingt ans, seul avec sa Margot,
Très gênés
tous les deux et sans se dire un mot.
Comme il
trouvait, pourtant, sa chère et vieille église
Plus belle,
sous l’éclat des yeux de sa promise.
C’est,
penchés sur la Crèche, aux pieds de l’Enfant-Dieu,
Qu’ils
avaient échangé leur premier tendre aveu.
Puis, au
Noël suivant, un mignon bébé rose
Tend au
petit Jésus ses deux menottes closes ;
Les deux
époux, heureux, sans honte et sans détour,
Échangent,
dans l’église, un long regard d’amour.
Mais des ans
ont passé. La tristesse est venue.
La douleur
sans pitié, jusqu’alors inconnue,
Dans ce
logis d’amour a fait verser des pleurs :
Celle qu’il
aimait tant, sa Margot, son bonheur,
Un soir de
février, est morte résignée,
En serrant
dans ses bras sa fillette adorée.
D’autres ans
ont passé. Sous ses cheveux tout blancs,
Il paraît
vieux, très vieux, et les regrets constants,
Le chagrin,
la douleur, ont brisé sa pauvre âme.
Il pleure,
tous les soirs, en pensant à sa femme.
Mais sa
fille lui reste. Oh ! Celle-là, du moins,
Elle ne
mourra pas ! Il l’entoure de soins.
L’amour,
sans pitié pour son âme de père,
A semé près
de lui la solitude amère.
Sa Gilberte
est partie, au bras de son époux.
Maintenant,
il est seul, avec ses rêves fous,
Depuis un an
déjà, sans amour, sans caresse,
Avec son
désespoir de vieux que l’on délaisse.
Sa tête
lasse penche, et l’étrange lueur
Du feu sur
son front blanc, d’une immense douleur
Semble être
le reflet.
Soudain,
sous une étreinte,
Il sent son
front serré. Deux bras, comme avec crainte,
Pour ne pas
l’éveiller, s’attachent à son cou.
Il relève la
tête, avec un regard fou.
Est-ce un
rêve ? Sa fille est près de lui, rieuse,
Et
l’enveloppe tout d’une caresse heureuse.
Elle prend
son enfant, petit être aux yeux doux,
Les yeux de
sa Margot, le met sur ses genoux.
Il regarde
l’enfant et soudain, il l’enlace,
Le serre
près de lui, le cajole et l’embrasse ;
Et, de ses
pauvres yeux, rougis par la douleur,
S’échappent,
cette fois, des larmes de bonheur.
Et, comme
pour bercer sa gaîté retrouvée,
Les cloches,
dans la nuit, lancent leur envolée.
Oscar LEMYRE, Les Voix.
Recueilli dans Répertoire poétique,
poésies et monologues recueillis
par Camélienne Séguin,
Montréal, 1937.