La neige sur
les champs s’amoncelle sans bruit,
Et la
cloche, là-bas, tinte à travers la nuit ;
Les
villageois s’en vont, en troupeaux, dans la lande,
Le nez
rouge, et les doigts par la bise engourdis,
Vers le
seuil de l’église ouverte toute grande,
De cierges
étoilés ainsi qu’un Paradis.
Tous sont
venus, les gars à la mine faraude
Dont la
veste de drap déborde sous la blaude,
Les aïeules
courbant le dos sur leur bâton,
Les filles
des hameaux avec leurs caules blanches,
Et leurs
fichus à fleurs noués sous le menton
Où scintille
en marchant la croix d’or des dimanches
Les gens de
la montagne ont quitté leurs chalets
Dont on voit
au matin monter en longs filets
À travers
les sapins la bleuâtre fumée ;
Ils ont
marché longtemps à travers le verglas,
Balançant à
la main leur lanterne allumée ;
Ils courbent
leur échine et leurs genoux sont las.
Et la
procession des femmes et des hommes,
Des bambins
en sabots, joufflus comme des pommes,
Loin des
âtres mourants et des chaumes déserts,
S’en va dans
la nuit noire, et sous les cieux moroses,
Et l’on
entend hurler longuement dans les airs
Les chiens
se lamentant au seuil des maisons closes.
Rémi, le
petit pâtre, à la ferme est resté,
Blotti dans
la chaleur de l’étable, à côté
Des grands
bœufs de labour et des vaches laitières ;
Quand
sifflent les vents froids d’hiver, c’est-là qu’il dort,
Bercé par le
bruit doux et soyeux des litières
Où
s’allument la nuit de pâles reflets d’or ;
En été, Rémi
couche au milieu des pâtures,
Sous un toit
de branchage, où par mille ouvertures
Coule l’azur
des nuits comme l’eau de la mer ;
Il s’endort
en rêvant sous les étoiles blondes,
Et se
réveille au bruit des clochettes de fer
Tintant dès
l’aube au cou des vaches vagabondes ;
Il pousse
tout le jour ses bêtes dans les champs ;
Pour se
distraire, il sait les vieux refrains touchants
Qu’on fredonne
en tillant l’hiver à la veillée ;
Il saute
par-dessus les grands feux de bergers,
Déniche la
noisette au fond de la feuillée,
Et fait de
beaux sifflets à l’ombre des murgers.
Rémi, le
petit pâtre, est heureux comme un prince ;
Il ne
donnerait pas pour l’or de la province
Son grand
fouet dont le manche est taillé dans un houx,
Son fouet
qui le matin dans l’air claque et tournoie
Tandis qu’à
l’abreuvoir boivent les grands bœufs roux :
Pourtant
Rémi ce soir n’a pas le cœur en joie.
Il songe, le
menton appuyé sur sa main ;
Les enfants
du fermier sont heureux, car demain
Les beaux
joujoux et les friandises bien tendres
Rempliront
leurs souliers quand le jour aura lui ;
Seul, Rémi
n’a pas mis ses sabots près des cendres,
Car bonhomme
Noël ne viendra pas pour lui.
Du fond de
la cuisine arrive dans l’étable
Jusqu’au nez
du pauvret le parfum délectable
De
l’andouille fumée et de l’oie aux marrons ;
Il en a par
moments l’âme tout embaumée ;
Il soupire
dans l’ombre, écoutant les ronrons
De la flamme
léchant la marmite enfumée ;
Hélas !
quand finira la messe de minuit,
D’autres
mangeront l’oie et boiront le vin cuit,
Tandis qu’il
jeûnera comme aux jours du carême ;
Pour eux la
pâte épaisse et tendre des gâteaux
Où sur les
jaunes d’œufs battus dans la crème
De sucre,
comme un givre, étend ses blancs cristaux.
Il songe à
tout cela, le cœur plein d’amertume ;
Dehors la
bise siffle et hurle dans la brume ;
Il pleure,
puis s’endort après qu’il a pleuré,
Et
Saint-Jean, patron des bergers de la prairie,
Envoie au
petit pâtre un beau songe doré
Afin que son
chagrin s’apaise, et qu’il sourie.
À Bethléem,
auprès de Jésus nouveau-né
Rémi se voit
en rêve à genoux prosterné ;
Il entend
dans le ciel des musiques étranges
Annonçant le
Sauveur au monde réjoui ;
À l’entour
du berceau voltigent de beaux anges
Ouvrant
leurs ailes d’or sur son front ébloui ;
Les pâtres
accourus en chantant des cantiques
Apportent
dans leurs mains des offrandes rustiques,
Et lui-même
est venu du fond de la Comté ;
Le bel
enfant Jésus vers lui penche la tête
Tandis que
lui sourit la Vierge avec bonté,
Et la vache
et le bœuf et l’âne lui font fête.
Rémi
longtemps se berce en son rêve charmant ;
Puis il sent
tout à coup sur sa joue, en dormant,
Une caresse
humide et chaude qui se pose ;
Raymel, la
vache blanche au poil taché de roux,
Léchant le
petit pâtre avec sa langue rose
Le regarde
dormir de ses deux grands yeux doux.
Henri PAUTHIER,
Au village, 1900.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire