mercredi 7 mars 2012

J'aime ces doux oiseaux Jules Verne

Jules Verne — Poèmes
J’aime ces doux oiseaux

J'aime ces doux oiseaux, qui promènent dans l'air
Leur vie et leur amour, et plus prompts que l'éclair,
             Qui s'envolent ensemble !
J'aime la fleur des champs, que l'on cueille au matin,
Et que le soir, au bal, on pose sur son sein
             Qui d'enivrement tremble !

J'aime les tourbillons des danses, des plaisirs,
Les fêtes, la toilette, et les tendres désirs
             Qui s'éveillent dans l'âme !
J'aime l'ange gardien qui dirige mes pas,
Qui me presse la main, et me donne tout bas
             Pour les maux un dictame !

J'aime du triste saule, au soir muet du jour,
La tête chaude encor, pleine d'ombre et d'amour,
             Qui se penche et qui pense !
J'aime la main de Dieu, laissant sur notre cœur
Tomber en souriant cette amoureuse fleur
             Qu'on nomme l'espérance !

J'aime le doux orchestre, en larmes, gémissant
Qui verse sur mon âme un langoureux accent,
             Une triste harmonie !
J'aime seule écouter le langage des cieux
Qui parlent à la terre, et l'emplissent de feux
             De soleil et de vie.

J'aime aux bords de la mer, regardant le ciel bleu,
Qui renferme en son sein la puissance de Dieu,
             M'asseoir toute pensive !
J'aime à suivre parfois en des rêves dorés
Mon âme qui va perdre en des flots azurés
             Sa pensée inactive !

J'aime l'effort secret du cœur, qui doucement
S'agite, la pensée au doux tressaillement,
             Que l'on sent en soi-même !
Mieux que l'arbre, l'oiseau, la fleur qui plaît aux yeux,
Le saule tout en pleurs, l'espérance des Cieux...
             J'aime celui qui m'aime.


Bisous à tous

dimanche 4 mars 2012

George Sand La Fée Poussière

George Sand
Contes d’une grand’mère
La Fée poussière

Autrefois, il y a bien longtemps, mes chers enfants, j'étais jeune et j'entendais souvent les gens se plaindre d'une importune petite vieille qui entrait par les fenêtres quand on l'avait chassée par les portes. Elle était si fine et si menue, qu'on eût dit qu'elle flottait au lieu de marcher, et mes parents la comparaient à une petite fée. Les domestiques la détestaient et la renvoyaient à coups de plumeau, mais on ne l'avait pas plus tôt délogée d'une place qu'elle reparaissait à une autre.

Elle portait toujours une vilaine robe grise traînante et une sorte de voile pâle que le moindre vent faisait voltiger autour de sa tête ébouriffée en mèches jaunâtres.

A force d'être persécutée, elle me faisait pitié et je la laissais volontiers se reposer dans mon petit jardin, bien qu'elle abimât beaucoup mes fleurs. Je causais avec elle, mais sans en pouvoir tirer une parole qui eût le sens commun. Elle voulait toucher à tout, disant qu'elle ne faisait que du bien. On me reprochait de la tolérer, et, quand je l'avais laissée s'approcher de moi, on m'envoyait laver et changer, en me menaçant de me donner le nom qu'elle portait.

La Découverte du secret de Mélusine, illustration pour Le Roman de Mélusine par Guillebert de Metz vers 1410. Cette image est dans le domaine public car son copyright a expiré.

C'était un vilain nom que je redoutais beaucoup. Elle était si malpropre qu'on prétendait qu'elle couchait dans les balayures des maisons et des rues, et, à cause de cela, on la nommait la fée Poussière.

- Pourquoi donc êtes-vous si poudreuse ? lui dis-je un jour qu'elle voulait m'embrasser.

- Tu es une sotte de me craindre, répondit-elle alors d'un ton railleur : tu m'appartiens, et tu me ressembles plus que tu ne penses. Mais tu es une enfant esclave de l'ignorance, et je perdrais mon temps à te le démontrer.

- Voyons, repris-je, vous paraissez vouloir parler raison pour la première fois. Expliquez-moi vos paroles.

- Je ne puis te parler ici, répondit-elle. J'en ai trop long à te dire, et, sitôt que je m'installe quelque part chez vous, on me balaye avec mépris ; mais, si tu veux savoir qui je suis, appelle-moi par trois fois cette nuit, aussitôt que tu seras endormie.

Là-dessus, elle s'éloigna en poussant un grand éclat de rire, et il me sembla la voir se dissoudre et s'élever en grande traînée d'or, rougi par le soleil couchant.

Le même soir, j'étais dans mon lit et je pensais à elle en commençant à sommeiller.

- J'ai rêvé tout cela, me disais-je, ou bien cette petite vieille est une vraie folle. Comment me serait-il possible de l'appeler en dormant ?

Je m'endormis, et tout aussitôt je rêvai que je l'appelais. Je ne suis même pas sûre de n'avoir pas crié tout haut par trois fois : «Fée Poussière ! fée Poussière ! fée Poussière !»

A l'instant même, je fus transportée dans un immense jardin au milieu duquel s'élevait un palais enchanté, et sur le seuil de cette merveilleuse demeure, une dame resplendissante de jeunesse et de beauté m'attendait dans de magnifiques habits de fête.

Je courus à elle et elle m'embrassa en me disant :

- Eh bien, reconnais-tu, à présent, la fée Poussière ?

- Non, pas du tout, madame, répondis-je, et je pense que vous vous moquez de moi.

- Je ne me moque point, reprit-elle ; mais, comme tu ne saurais comprendre mes paroles, je vais te faire assister à un spectacle qui te paraîtra étrange et que je rendrai aussi court que possible. Suis-moi.

Elle me conduisit dans le plus bel endroit de sa résidence. C'était un petit lac limpide qui ressemblait à un diamant vert enchâssé dans un anneau de fleurs, et où se jouaient des poissons de toutes les nuances de l'orange et de la cornaline, des carpes de Chine couleur d'ambre, des cygnes blancs et noirs, des sarcelles exotiques vêtues de pierreries, et, au fond de l'eau, des coquillages de nacre et de pourpre, des salamandres aux vives couleurs et aux panaches dentelés, enfin tout un monde de merveilles vivantes glissant et plongeant sur un lit de sable argenté, où poussaient des herbes fines, plus fleuries et plus jolies les unes que les autres. Autour de ce vaste bassin s'arrondissait sur plusieurs rangs une colonnade de porphyre à chapiteaux d'albâtre. L'entablement, fait des minéraux les plus précieux, disparaissait presque sous les clématites, les jasmins, les glycines, les bryones et les chèvrefeuilles où mille oiseaux faisaient leurs nids. Des buissons de roses de toutes nuances et de tous parfums se miraient dans l'eau, ainsi que le fût des colonnes et les belles statues de marbre de Paros placées sous les arcades. Au milieu du bassin jaillissait en mille fusées de diamants et de perles un jet d'eau qui retombait dans de colossales vasques de nacre.

Le fond de l'amphithéâtre d'architecture s'ouvrait sur de riants parterres qu'ombrageaient des arbres géants couronnés de fleurs et de fruits, et dont les tiges enlacées de pampres formaient, au-delà de la colonnade de porphyre, une colonnade de verdure et de fleurs.

La fée me fit assoir avec elle au seuil d'une grotte d'où s'élançait une cascade mélodieuse et que tapissaient les beaux rubans des scolopendres et le velours des mousses fraîches diamantées de gouttes d'eau.

- Tout ce que tu vois là, me dit-elle, est mon ouvrage. Tout cela est fait de poussière ; c'est en secouant ma robe dans les nuages que j'ai fourni tous les matériaux de ce paradis. Mon ami le feu les avait lancés dans les airs, les a repris pour les recuire, les cristalliser ou les agglomérer après que mon serviteur le vent les a eu promenés dans l'humidité et dans l'électricité des nues, et rabattus sur la terre ; ce grand plateau solidifié s'est revêtu alors de ma substance féconde et la pluie en a fait des sables et des engrais, après en avoir fait des granits, des porphyres, des marbres, des métaux et des roches de toute sorte.

Lily Fairy 1888 Huile sur toile Luis Ricardo Falero (1851–1896) Cette image est dans le domaine public car son copyright a expiré.

J'écoutais sans comprendre et je pensais que la fée continuait à me mystifier. Qu'elle eût pu faire de la terre avec de la poussière, passe encore ; mais qu'elle eût fait avec cela du marbre, des granits et d'autres minéraux, qu'en se secouant elle aurait fait tomber du ciel, je n'en croyais rien. Je n'osais pas lui donner un démenti, mais je me retournai involontairement vers elle pour voir si elle disait sérieusement une pareille absurdité.

Quelle fut ma surprise de ne plus la trouver derrière moi ! mais j'entendis sa voix qui partait de dessous terre et qui m'appelait. En même temps, je m'enfonçai sous terre aussi, sans pouvoir m'en défendre, et je me trouvai dans un lieu terrible où tout était feu et flamme. On m'avait parlé de l'enfer, je crus que c'était cela. Des lueurs rouges, bleues, vertes, blanches, violettes, tantôt livides, tantôt éblouissantes, remplaçaient le jour, et, si le soleil pénétrait en cet endroit, les vapeurs qui s'exhalaient de la fournaise le rendaient tout à fait invisible.

Des bruits formidables, des sifflements aigus, des explosions, des éclats de tonnerre remplissaient cette caverne de nuages noirs où je me sentais enfermée.

Au milieu de tout cela, j'apercevais la petite fée Poussière qui avait repris sa face terreuse et son sordide vêtement incolore. Elle allait et venait, travaillant, poussant, tassant, brassant, versant je ne sais quels acides, se livrant en un mot à des opérations incompréhensibles.

- N'aie pas peur, me cria-t-elle d'une voix qui dominait les bruits assourdissants de ce Tartare. Tu es ici dans mon laboratoire. Ne connais-tu pas la chimie ?

- Je n'en sais pas un mot, m'écriai-je, et ne désire pas l'apprendre en un pareil endroit.

- Tu as voulu savoir, il faut te résigner à regarder. Il est bien commode d'habiter la surface de la terre, de vivre avec les fleurs, les oiseaux et les animaux apprivoisés ; de se baigner dans les eaux tranquilles, de manger des fruits savoureux en marchant sur des tapis de gazon et de marguerites. Tu t'es imaginée que la vie humaine avait subsisté de tout temps ainsi, dans des conditions bénies. Il est temps de t'aviser du commencement des choses et de la puissance de la fée Poussière, ton aïeule, ta mère et ta nourrice.

En parlant ainsi, la petite vieille me fit rouler avec elle au plus profond de l'abîme à travers les flammes dévorantes, les explosions effroyables, les âcres fumées noires, les métaux en fusion, les laves au vomissement hideux de toutes les terreurs de l'éruption volcanique.

- Voici mes fourneaux, me dit-elle, c'est le sous-sol où s'élaborent mes provisions. Tu vois, il fait bon ici pour un esprit débarrassé de cette carapace qu'on appelle un corps. Tu as laissé le tien dans ton lit et ton esprit seul est avec moi. Donc, tu peux toucher et brasser la matière première. Tu ignores la chimie, tu ne sais pas encore de quoi cette matière est faite, ni par quelle opération mystérieuse ce qui apparaît ici sous l'aspect de corps solides provient d'un corps gazeux qui a lui dans l'espace comme une nébuleuse et qui plus tard a brillé comme un soleil. Tu es une enfant, je ne peux pas t'initier aux grands secrets de la création et il se passera encore du temps avant que tes professeurs les sachent eux-mêmes. Mais je peux te faire voir les produits de mon art culinaire. Tout est ici un peu confus pour toi. Remontons d'un étage. Prends l'échelle et suis-moi.

Une échelle, dont je ne pouvais apercevoir ni la base ni le faîte, se présentait en effet devant nous. Je suivis la fée et me trouvai avec elle dans les ténèbres, mais je m'aperçus alors qu'elle était toute lumineuse et rayonnait comme un flambeau. Je vis donc des dépôts énormes d'une pâte rosée, des blocs d'un cristal blanchâtre et des lames immenses d'une matière vitreuse noire et brillante que la fée se mit à écraser sous ses doigts ; puis elle pila le cristal en petits morceaux et mêla le tout avec la pâte rose, qu'elle porta sur ce qu'il lui plaisait d'appeler un feu doux.

 
Image d'Epinal Cendrillon Cette image est dans le domaine public car son copyright a expiré.

- Quel plat faites-vous donc là ? lui demandai-je.

- Un plat très nécessaire à ta pauvre petite existence, répondit-elle ; je fais du granit, c'est-à-dire qu'avec la poussière je fais la plus dure et la plus résistante des pierres. Il faut bien cela, pour enfermer le Cocyte et le Phlégéthon. Je fais aussi des mélanges variés des mêmes éléments. Voici ce qu'on t'a montré sous des noms barbares, les gneiss, les quartzites, les talcschistes, les micaschistes, etc. De tout cela, qui provient de mes poussières, je ferai plus tard d'autres poussières avec des éléments nouveaux, et ce seront alors des ardoises, des sables et des grès. Je suis habile et patiente, je pulvérise sans cesse pour réagglomérer. La base de tout gâteau n'est-elle pas la farine ? Quant à présent, j'emprisonne mes fourneaux en leur ménageant toutefois quelques soupiraux nécessaires pour qu'ils ne fassent pas tout éclater. Nous irons voir plus haut ce qui se passe. Si tu es fatiguée, tu peux faire un somme, car il me faut un peu de temps pour cet ouvrage.

Je perdis la notion du temps, et, quand la fée m'éveilla.

- Tu as dormi, me dit-elle, un joli nombre de siècles !

- Combien donc, madame la fée ?

- Tu demanderas cela à tes professeurs, répondit-elle en ricanant ; reprenons l'échelle.

Elle me fit monter plusieurs étages de divers dépôts, où je la vis manipuler des rouilles de métaux dont elle fit du calcaire, des marnes, des argiles, des ardoises, des jaspes ; et, comme je l'interrogeais sur l'origine des métaux :

- Tu en veux savoir beaucoup, me dit-elle. Vos chercheurs peuvent expliquer beaucoup de phénomènes par l'eau et par le feu. Mais peuvent-ils savoir ce qui s'est passé entre terre et ciel quand toutes mes pouzzolanes, lancées par le vent de l'abîme, ont formé des nuées solides, que les nuages d'eau ont roulés dans leurs tourbillons d'orage, que la foudre a pénétrées de ses aimants mystérieux et que les vents supérieurs ont rabattues sur la surface terrestre en pluies torrentielles ? C'est là l'origine des premiers dépôts. Tu vas assister à leurs merveilleuses transformations.

Nous montâmes plus haut et nous vîmes des craies, des marbres et des bancs de pierre calcaire, de quoi bâtir une ville aussi grande que le globe entier. Et, comme j'étais émerveillée de ce qu'elle pouvait produire par le sassement, l'agglomération, le métamorphisme et la cuisson, elle me dit :

- Tout ceci n'est rien, et tu vas voir bien autre chose ! tu vas voir la vie déjà éclose au milieu de ces pierres.

Elle s'approcha d'un bassin grand comme une mer, et, y plongeant le bras, elle en retira d'abord des plantes étranges, puis des animaux plus étranges encore, qui était encore à moitié plantes ; puis des êtres libres, indépendants les uns des autres, des coquillages vivants, puis enfin des poissons, qu'elle fit sauter en disant :

- Voilà ce que dame Poussière sait produire quand elle se dépose au fond des eaux. Mais il y a mieux ; retourne-toi et regarde le rivage.

Je me retournai : le calcaire et tous ses composés, mêlés à la silice et à l'argile, avaient formé à leur surface une fine poussière brune et grasse où poussaient des plantes chevelues fort singulières.

- Voici la terre végétale, dit la fée, attends un peu, tu verras pousser des arbres.

En effet, je vis une végétation arborescente s'élever rapidement et se peupler de reptiles et d'insectes, tandis que sur les rivages s'agitaient des êtres inconnus qui me causèrent une véritable terreur.

- Ces animaux ne t'effrayeront pas sur la terre de l'avenir, dit la fée. Ils sont destinés à l'engraisser de leurs dépouilles. Il n'y a pas encore ici d'hommes pour les craindre.

- Attendez ! m'écriai-je, voici un luxe de monstres qui me scandalise ! Voici votre terre qui appartient à ces dévorants qui vivent les uns des autres. Il vous fallait tous ces massacres et toutes ces stupidités pour nous faire un fumier ? Je comprends qu'ils ne soient pas bons à autre chose, mais je ne comprends pas une création si exubérante de formes animées, pour ne rien faire et ne rien laisser qui vaille.

- L'engrais est quelque chose, si ce n'est pas tout, répondit la fée. Les conditions que celui-ci va créer seront propices à des êtres différents qui succéderont à ceux-ci.

- Et qui disparaîtront à leur tour, je sais cela. Je sais que la création se perfectionnera jusqu'à l'homme, du moins on me l'a dit et je le crois. Mais je ne m'étais pas encore représenté cette prodigalité de vie et de destruction qui m'effraye et me répugne. Ces formes hideuses, ces amphibies gigantesques, ces crocodiles monstrueux, et toutes ces bêtes rampantes ou nageantes qui ne semblent vivre que pour se servir de leurs dents et dévorer les autres...

Mon indignation divertit beaucoup la fée Poussière.


 Le Prince Arthur et la reine des fées 1788 Johann Heinrich Füssli (1741–1825) Image is derived from Edmund Spenser's The Faerie Queen. The Yorck Project: 10.000 Meisterwerke der Malerei. DVD-ROM, 2002. ISBN 3936122202. Distributed by DIRECTMEDIA Publishing GmbH. Domaine publique

- La matière est la matière, répondit-elle, elle est toujours logique dans ses opérations. L'esprit humain ne l'est pas et tu en es la preuve, toi qui te nourris de charmants oiseaux et d'une foule de créatures plus belles et plus intelligentes que celles-ci. Est-ce à moi de t'apprendre qu'il n'y a point de production possible sans destruction permanente, et veux-tu renverser l'ordre de la nature ?

- Oui, je le voudrais, je voudrais que tout fût bien, dès le premier jour. Si la nature est une grande fée, elle pouvait bien se passer de tous ces essais abominables, et faire un monde où nous serions des anges, vivant par l'esprit, au sein d'une création immuable et toujours belle.

- La grande fée Nature a de plus hautes visées, répondit dame Poussière. Elle ne prétend pas s'arrêter aux choses que tu connais. Elle travaille et invente toujours. Pour elle, qui ne connaît pas la suspension de la vie, le repos serait la mort. Si les choses ne changeaient pas, l'œuvre du roi des génies serait terminée et ce roi, qui est l'activité incessante et suprême, finirait avec son œuvre. Le monde où tu vis et où tu vas retourner tout à l'heure quand ta vision du passé se dissipera, - ce monde de l'homme que tu crois meilleur que celui des animaux anciens, ce monde dont tu n'es pourtant pas satisfait, puisque tu voudrais y vivre éternellement à l'état de pur esprit, cette pauvre planète encore enfant, est destinée à se transformer indéfiniment. L'avenir fera de vous tous et de vous toutes, faibles créatures humaines, des fées et des génies qui posséderont la science, la raison et la bonté ; vois ce que je te fais voir, et sache que ces premières ébauches de la vie résumée dans l'instinct sont plus près de toi que tu ne l'es de ce que sera, un jour, le règne de l'esprit sur la terre que tu habites. Les occupants de ce monde futur seront alors en droit de te mépriser aussi profondément que tu méprises aujourd'hui le monde des grands sauriens.

- A la bonne heure, répondis-je, si tout ce que je vois du passé doit me faire aimer l'avenir, continuons à voir du nouveau.

- Et surtout, reprit la fée, ne le méprisons pas trop, ce passé, afin de ne pas commettre l'ingratitude de mépriser le présent. Quand le grand esprit de la vie se sert des matériaux que je lui fournis, il fait des merveilles dès le premier jour. Regarde les yeux de ce prétendu monstre que vos savants ont nommé l'ichthyosaure.

- Ils sont plus gros que ma tête et me font peur.

- Ils sont très supérieurs aux tiens. Ils sont à la fois myopes et presbytes à volonté. Ils voient la proie à des distances considérables comme avec un télescope, et, quand elle est tout près, par un simple changement de fonction, ils la voient parfaitement à sa véritable distance sans avoir besoin de lunettes. A ce moment de la création, la nature n'a qu'un but : faire un animal pensant. Elle lui donne des organes merveilleusement appropriés à ses besoins. C'est un joli commencement : n'en es-tu pas frappée ? - Il en sera ainsi, et de mieux en mieux, de tous les êtres qui vont succéder à ceux-ci. Ceux qui te paraîtront pauvres, laids ou chétifs seront encore des prodiges d'adaptation au milieu où ils devront se manifester.

- Et comme ceux-ci, ils ne songeront pourtant qu'à se nourrir ?

- A quoi veux-tu qu'ils songent ? La terre n'éprouve pas le besoin d'être admirée. Le ciel subsistera aujourd'hui et toujours sans que les aspirations et les prières des créatures ajoutent rien à son éclat et à la majesté de ses lois. La fée de ta petite planète connaît la grande cause, n'en doute pas ; mais, si elle est chargée de faire un être qui pressente ou devine cette cause, elle est soumise à la loi du temps, cette chose dont vous ne pouvez pas vous rendre compte, parce que vous vivez trop peu pour en apprécier les opérations. Vous les croyez lentes, et elles sont d'une rapidité foudroyante. Je vais affranchir ton esprit de son infirmité et faire passer devant toi les résultats de siècles innombrables. Regarde et n'ergote plus. Mets à profit ma complaisance pour toi.

Je sentis que la fée avait raison et je regardai, de tous mes yeux, la succession des aspects de la terre. Je vis naître et mourir des végétaux et des animaux de plus en plus ingénieux par l'instinct et de plus en plus agréables ou imposants par la forme. A mesure que le sol s'embellissait de productions plus ressemblantes à celles de nos jours, les habitants de ce grand jardin que de grands accidents transformaient sans cesse, me parurent moins avides pour eux-mêmes et plus soucieux de leur progéniture. Je les vis construire des demeures à l'usage de leur famille et montrer de l'attachement pour leur localité. Si bien que, de moment en moment, je voyais s'évanouir un monde et surgir un monde nouveau, comme les actes d'une féerie.

- Repose-toi, me dit la fée, car tu viens de parcourir beaucoup de milliers de siècles, sans t'en douter, et monsieur l'homme va naître à son tour quand le règne de monsieur le singe sera accompli.

Je me rendormis, écrasée de fatigue, et, quand je m'éveillai, je me trouvai au milieu d'un grand bal dans le palais de la fée, redevenue jeune, belle et parée.

- Tu vois toutes ces belles choses et tout ce beau monde, me dit-elle. Eh bien, mon enfant, poussière que tout cela ! Ces parois de porphyre et de marbre, c'est de la poussière de molécules pétrie et cuite à point. Ces murailles de pierres taillées, c'est de la poussière de chaux ou de granit amenée à bien par les mêmes procédés. Ces lustres et ces cristaux, c'est du sable fin cuit par la main des hommes en imitation du travail de la nature. Ces porcelaines et ces faïences, c'est de la poudre de feldspath, le kaolin dont les Chinois nous ont fait trouver l'emploi. Ces diamants qui parent les danseuses, c'est de la poudre de charbon qui s'est cristallisée. Ces perles, c'est le phosphate de chaux que l'huître suinte dans sa coquille. L'or et tous les métaux n'ont pas d'autre origine que l'assemblage bien tassé, bien manipulé, bien fondu, bien chauffé et bien refroidi, de molécules infinitésimales. Ces beaux végétaux, ces roses couleur de chair, ces lis tachetés, ces gardénias qui embaument l'atmosphère, sont nés de la poussière que je leur ai préparée, et ces gens qui dansent et sourient au son des instruments, ces vivants par excellence qu'on appelle des personnes, eux aussi, ne t'en déplaise, sont nés de moi et retourneront à moi.

Comme elle disait cela, la fête et le palais disparurent. Je me trouvai avec la fée dans un champ où il poussait du blé. Elle se baissa et ramassa une pierre où il y avait un coquillage incrusté.

- Voilà, me dit-elle, à l'état fossile, un être que je t'ai montré vivant aux premiers âges de la vie. Qu'est-ce que c'est, à présent ? Du phosphate de chaux. On le réduit en poussière et on en fait de l'engrais pour les terres trop siliceuses. Tu vois, l'homme commence à s'aviser d'une chose, c'est que le seul maître à étudier, c'est la nature.

Elle écrasa sous ses doigts le fossile et en sema la poudre sur le sol cultivé, en disant :

- Ceci rentre dans ma cuisine. Je sème la destruction pour faire pousser le germe. Il en est ainsi de toutes les poussières, qu'elles aient été plantes, animaux ou personnes. Elles sont la mort après avoir été la vie, et cela n'a rien de triste, puisqu'elles recommencent toujours, grâce à moi, à être la vie après avoir été la mort. Adieu. Je veux que tu gardes un souvenir de moi. Tu admires beaucoup ma robe de bal. En voici un petit morceau que tu examineras à loisir.

Tout disparut, et, quand j'ouvris les yeux, je me retrouvai dans mon lit. Le soleil était levé et m'envoyait un beau rayon. Je regardai le bout d'étoffe que la fée m'avait mis dans la main. Ce n'était qu'un petit tas de fine poussière, mais mon esprit était encore sous le charme du rêve et il communiqua à mes sens le pouvoir de distinguer les moindres atomes de cette poussière.

Je fus émerveillée ; il y avait de tout : de l'air, de l'eau, du soleil, de l'or, des diamants, de la cendre, du pollen de fleur, des coquillages, des perles, de la poussière d'ailes de papillon, du fil, de la cire, du fer, du bois, et beaucoup de cadavres microscopiques ; mais, au milieu de ce mélange de débris imperceptibles, je vis fermenter je ne sais quelle vie d'êtres insaisissables qui paraissaient chercher à se fixer quelque part pour éclore ou pour se transformer, et qui se fondirent en nuage d'or dans le rayon rose du soleil levant.
 
Wikipédia

Bisous à tous.

jeudi 1 mars 2012

William Chapman Les Fleurs de givre

William Chapman — Les Fleurs de givre
L’Année canadienne
Mars

L’interminable hiver tente un dernier effort,
Pour enfouir la terre et refroidir l’espace :
Sous le souffle effréné de l’ouragan du nord
De plus en plus la neige en tourbillons s’entasse.

Et cette blanche mer déferle dans le vent
Par-dessus les taillis aux branches dénudées.
Les chars dans les ravins comblés bloquent souvent
Sous l’amoncellement continu des bordées.

L’air glacial est lourd de morbides vapeurs.
Nous sortons peu. Le Soir près du feu nous rassemble ;
Et les vieux dolemment racontent là des peurs
Qui font frémir l’enfant, blêmir l’aïeul qui tremble.

La cruelle saison sème au hasard les deuils.
Pour les hôtes des bois partout se cache un piège,
Et le braconnier traque orignaux et chevreuils
Aveuglés du grésil, empêtrés de la neige.

Tout souffre, hommes, bétail ; tout pleure, arbres, échos.
Dans son grenier gémit le pauvre, maigre et pâle,
Et l’on croit par moment entendre ses sanglots
À travers les cent bruits de la bise qui râle.

L’aurore ne luit plus sur les monts sourcilleux.
Rien ne fait pressentir la fin des jours livides.
Et si parfois un coin d’azur émerge aux cieux,
L’hiver croule à flots plus drus sur les Laurentides.

Mais de même qu’après le déluge, un matin,
L’arc-en-ciel rayonna dans sa splendeur première,
Le clair soleil pascal, qu’on croyait presque éteint,
Demain va tout dorer de sa blonde lumière.

Bisous à tous

dimanche 26 février 2012

Hans le Balourd Andersen


Hans le Balourd Conte d'Andersen

 Image Google

Il y avait dans la campagne un vieux manoir et, dans ce manoir, un vieux seigneur qui avait deux fils si pleins d'esprit qu'avec la moitié ils en auraient déjà eu assez. Ils voulaient demander la main de la fille du roi mais ils n'osaient pas car elle avait fait savoir qu'elle épouserait celui qui saurait le mieux plaider sa cause. 
Les deux garçons se préparèrent pendant huit jours - ils n'avaient pas plus de temps devant eux -, mais c'était suffisant car ils avaient des connaissances préalables fort utiles. L'un savait par cœur tout le lexique latin et trois années complètes du journal du pays, et cela en commençant par le commencement ou en commençant par la fin ; l'autre avait étudié les statuts de toutes les corporations et appris tout ce que devait connaître un maître juré, il pensait pouvoir discuter de l'État et, de plus, il s'entendait à broder les harnais car il était fin et adroit de ses mains. 
- J'aurai la fille du roi, disaient-ils tous les deux. 
Leur père donna à chacun d'eux un beau cheval, noir comme le charbon pour celui à la mémoire impeccable, blanc comme neige pour le maître en sciences corporatives et broderie, puis ils se graissèrent les commissures des lèvres avec de l'huile de foie de morue pour rendre leur parole plus fluide. Tous les domestiques étaient dans la cour pour les voir monter à cheval quand soudain arriva le troisième frère - ils étaient trois, mais le troisième ne comptait absolument pas, il n'était pas instruit comme les autres, on l'appelait Hans le Balourd. 
- Où allez-vous ainsi en grande tenue ? demanda-t-il. 
- A la cour, gagner la main de la princesse par notre conversation. Tu n'as pas entendu ce que le tambour proclame dans tout le pays ? 
Et ils le mirent au courant. 
- Parbleu ! il faut que j'en sois ! fit Hans le Balourd. 
Ses frères se moquèrent de lui et partirent. 
- Père, donne-moi aussi un cheval, cria Hans le Balourd, j'ai une terrible envie de me marier. Si la princesse me prend, c'est bien, et si elle ne me prend pas, je la prendrai quand même. 
- Bêtises, fit le père, je ne te donnerai pas de cheval, tu ne sais rien dire, tes frères, eux, sont gens d'importance. 
- Si tu ne veux pas me donner de cheval, répliqua Hans le Balourd, je monterai mon bouc, il est à moi et il peut bien me porter. 
Et il se mit à califourchon sur le bouc, l'éperonna de ses talons et prit la route à toute allure. Ah ! comme il filait ! 
- J'arrive, criait-il. 
Et il chantait d'une voix claironnante. Les frères avançaient tranquillement sur la route sans mot dire, ils pensaient aux bonnes réparties qu'ils allaient lancer, il fallait que ce soit longuement médité. 
- Holà ! holà ! criait Hans, me voilà ! Regardez ce que j'ai trouvé sur la route. 
Et il leur montra une corneille morte qu'il avait ramassée. 
- Balourd ! qu'est-ce que tu vas faire de ça ? 
- Je l'offrirai à la fille du roi. 
- C'est parfait ! dirent les frères. 
Et ils continuèrent leur route en riant. 
- Holà ! holà ! voyez ce que j'ai trouvé maintenant ! Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve ça sur la route. 
Les frères tournèrent encore une fois la tête. 
- Balourd ! c'est un vieux sabot dont le dessus est parti. Est-ce aussi pour la fille du roi ? 
- Bien sûr ! dit Hans. 

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Et les frères de rire et de prendre une grande avance. 
- Holà ! holà ! ça devient de plus en plus beau ! Holà ! c'est merveilleux ! 
- Qu'est-ce que tu as encore trouvé ? 
- Oh ! elle va être joliment contente, la fille du roi ! 
- Pfuu ! mais ce n'est que de la boue qui vient de jaillir du fossé ! 
- Oui, oui, c'est ça, et de la plus belle espèce, on ne peut même pas la tenir dans la main. 
Là-dessus il en remplit sa poche. Les frères chevauchèrent à bride abattue et arrivèrent avec une heure d'avance aux portes de la ville. Là, les prétendants recevaient l'un après l'autre un numéro et on les mettait en rang six par six, si serrés qu'ils ne pouvaient remuer les bras et c'était fort bien ainsi, car sans cela ils se seraient peut-être battus rien que parce que l'un était devant l'autre. Tous les autres habitants du pays se tenaient autour du château, juste devant les fenêtres pour voir la fille du roi recevoir les prétendants. A mesure que l'un d'eux entrait dans la salle, il ne savait plus que dire. 
- Bon à rien, disait la fille du roi, sortez ! 
Vint le tour du frère qui savait le lexique par cœur, mais il l'avait complètement oublié pendant qu'il faisait la queue. Le parquet craquait et le plafond était tout en glace, de sorte qu'il se voyait à l'envers marchant sur la tête. A chaque fenêtre se tenaient trois secrétaires-journalistes et un maître juré (surveillant) qui inscrivaient tout ce qui se disait afin que cela paraisse aussitôt dans le journal que l'on vendait au coin pour deux sous. C'était affreux. De plus, on avait chargé le poêle au point qu'il était tout rouge. 

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- Quelle chaleur ! disait le premier des frères. 
- C'est parce qu'aujourd'hui mon père rôtit des poulets, dit la fille du roi. 
Euh ! le voilà pris, il ne s'attendait pas à ça. Il aurait voulu répondre quelque chose de drôle et ne trouvait rien. Euh ! ... 
- Bon à rien. Sortez ! 
L'autre frère entra. 
- Il fait terriblement chaud ici, commença-t-il ... 
- Oui, nous rôtissons des poulets aujourd'hui. 
- Comment ? Quoi ? Quoi ? dit-il. 
Et tous les journalistes écrivaient : «Comment ? quoi ? quoi ?» 
- Bon à rien ! Sortez ! 
Vint le tour de Hans le Balourd. Il entra sur son bouc jusqu'au milieu de la salle. 
- Quelle fournaise ! dit-il. 
- Oui, nous rôtissons des poulets aujourd'hui. 
- Quelle chance ! fit Hans le Balourd, alors je pourrai sans doute me faire rôtir une corneille. 
- Mais bien sûr dit la princesse, mais as-tu quelque chose pour la faire rôtir, car moi je n'ai ni pot ni poêle. 
- Et moi j'en ai, dit Hans, voilà une casserole cerclée d'étain. 
Et il sortit le vieux sabot et posa la corneille au milieu. 
- Voilà tout un repas, dit la fille du roi, mais où prendrons-nous la sauce? 
- Dans ma poche, dit Hans le Balourd. J'en ai tant que je veux ! 
Et il fit couler un peu de boue de sa poche. 
- Ça, ça me plaît ! dit la fille du roi. Toi, tu as réponse à tout et tu sais parler et je te veux pour époux. Mais sais-tu que chaque mot que nous avons dit paraîtra demain matin dans le journal ? 
A chaque fenêtre se tiennent trois secrétaires-journalistes et un vieux maître juré (surveillant) et ce vieux-là est pire encore que les autres car il ne comprend rien de rien. Elle disait cela pour lui faire peur. Tous les secrétaires-journalistes, par protestation, firent des taches d'encre sur le parquet. 
-Voilà du beau monde ! dit Hans le Balourd. Je vois qu'il faut que je m'en mêle et que je donne à leur patron tout ce que j'ai de mieux. 
Il retourna sa poche et lança au maître juré le reste de la boue en pleine figure. 
- Ça, c'est du beau travail ! dit la princesse, je n'en aurais pas fait autant ... Mais j'apprendrai à mon tour à les traiter comme ils le méritent. 
C'est ainsi que Hans le Balourd devint roi, il eut une femme et une couronne et s'assit sur un trône et c'est le journal qui nous en informa... mais peut-on vraiment se fier aux journaux ? 

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mercredi 22 février 2012

La Chanson de Roland

Huit etapes de La Chanson de Roland en une image St. Petersburg, Ms. Hermitage. fr. 88: Grandes Chroniques de France (Niederl. Burgund, Mitte 15. Jh., Exemplar Philipps des Guten), folio. 154v Original uploader was Sigune at de.wikipedia This image is in the public domain.


La Chanson de Roland • Édition classique de Léon Gautier
Deuxième partie – La Mort de Roland (Extrait)


CLXXIII
Roland frappe une seconde fois au perron de sardoine ;L’acier grince : il ne rompt pas, il ne s’ébrèche point.Quand le comte s’aperçoit qu’il ne peut briser son épée,En dedans de lui-même il commence à la plaindre :« Ô ma Durendal, comme tu es claire et blanche !« Comme tu luis et flamboies au soleil !« Je m’en souviens : Charles était aux vallons de Maurienne,« Quand Dieu, du haut du ciel, lui manda par un ange« De te donner à un vaillant capitaine.« C’est alors que le grand, le noble roi la ceignit à mon côté...« Avec elle je lui conquis l’Anjou et la Bretagne ;« Je lui conquis le Poitou et le Maine ;« Je lui conquis la libre Normandie ;« Je lui conquis Provence et Aquitaine,« La Lombardie et toute la Romagne ;« Je lui conquis la Bavière et les Flandres,« Et la Bulgarie et la Pologne« Constantinople qui lui rendit hommage,« Et la Saxe qui se soumit à son bon plaisir ;« Je lui conquis Écosse, Galles, Irlande« Et l’Angleterre, son domaine privé.« En ai-je assez conquis de pays et de terres,« Que tient Charles à la barbe chenue !« Et maintenant j’ai grande douleur à cause de cette épée.« Plutôt mourir que de la laisser aux païens !« Que Dieu n’inflige point cette honte à la France ! » CLXXIV
Pour la troisième fois, Roland frappe sur une pierre bise :Plus en abat que je ne saurais dire.L’acier grince ; il ne rompt pas :L’épée remonte en amont vers le ciel.Quand le comte s’aperçoit qu’il ne la peut briser,Tout doucement il la plaint en lui-même :« Ma Durendal, comme tu es belle et sainte !« Dans ta garde dorée il y a assez de reliques :« Une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile.« Des cheveux de monseigneur saint Denis,« Du vêtement de la Vierge Marie.« Non, non, ce n’est pas droit que païens te possèdent !« Ta place est seulement entre des mains chrétiennes.« Plaise à Dieu que tu ne tombes pas entre celles d’un lâche !« Combien de terres j’aurai par toi conquises,« Que tient Charles à la barbe fleurie,« Et qui sont aujourd’hui la richesse de l’Empereur ! »
CLXXV
Roland sent que la mort l’entreprendEt qu’elle lui descend de la tête sur le cœur.Il court se jeter sous un pin ;Sur l’herbe verte il se couche face contre terre ;Il met sous lui son olifant et son épée,Et se tourne la tête du côté des païens.Et pourquoi le fait-il ? Ah ! c’est qu’il veutFaire dire à Charlemagne et à toute l’armée des Francs,Le noble comte, qu’il est mort en conquérant.Il bat sa coulpe, il répète son Mea culpa.Pour ses péchés, au ciel il tend son gant...
CLXXVI
Roland sent bien que son temps est fini.Il est là au sommet d’un pic qui regarde l’Espagne ;D’une main il frappe sa poitrine :« Mea culpa, mon Dieu, et pardon au nom de ta puissance,« Pour mes péchés, pour les petits et pour les grands,« Pour tous ceux que j’ai faits depuis l’heure de ma naissance« Jusqu’à ce jour où je suis parvenu. »Il tend à Dieu le gant de sa main droite,Et voici que les Anges du ciel s’abattent près de lui. CLXXVII
Il est là gisant sous un pin, le comte Roland ;Il a voulu se tourner du côté de l’Espagne.Il se prit alors à se souvenir de plusieurs choses :De tous les royaumes qu’il a conquis,Et de douce France, et des gens de sa famille,Et de Charlemagne, son seigneur qui l’a nourri ;Il ne peut s’empêcher d’en pleurer et de soupirer.Mais il ne veut pas se mettre lui-même en oubli,Et, de nouveau, réclame le pardon de Dieu :« Ô notre vrai Père, dit-il, qui jamais ne mentis,« Qui ressuscitas saint Lazare d’entre les morts« Et défendis Daniel contre les lions,« Sauve, sauve mon âme et défends-la contre tous périls,« À cause des péchés que j’ai faits en ma vie. »Il a tendu à Dieu le gant de sa main droite :Saint Gabriel l’a reçu.Alors sa tête s’est inclinée sur son bras,Et il est allé, mains jointes, à sa fin.Dieu lui envoie un de ses anges chérubinsEt saint Michel du Péril.Saint Gabriel est venu avec eux :L’âme du comte est emportée au Paradis...

Bataille de Roncevaux en 778. Mort de Roland Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460 Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 6465, fol. 113 (Cinquième Livre de Charlemagne). Bataille de Roncevaux en 778 (en arrière-plan à gauche) : Au retour de l'expédition d'Espagne, l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne, conduite par Roland, est attaquée par les sarrasins dans la vallée de Roncevaux. Mort de Roland : Le neveu de Charlemagne, Roland, comte de la Marche de Bretagne, gît sur l'herbe. Auprès de lui, son frère Baudouin se lamente avant de prendre l'olifant et l'épée Durandal de Roland pour les porter à l'empereur. Jean Fouquet (1420–1480) Domaine publique

Wikisource et Wikipédia

dimanche 19 février 2012

L'Avare et le Diable

L’Avare et le Diable par Eugène ACHARD
Sur le chemin de Beauport, qui va de Québec à Sainte-Anne de Beaupré, à l’endroit appelé aujourd’hui l’Ange-Gardien, habitait un marchand du nom de Pierre Guyard qui était loin d’avoir la réputation d’un homme généreux.

Sainte-Anne de Beaupré Image Google
Il était dur envers le pauvre monde et si quelque débiteur malchanceux ne pouvait, au jour dit, payer sa dette ou les intérêts échus, Pierre Guyard, sans bruit, sans se fâcher, froidement, faisait saisir et vendre à l’encan le mobilier, souvent chétif, du pauvre homme.
« Que voulez-vous, les temps sont durs », répondait-il à ceux qui s’étonnaient de ses procédés par trop expéditifs.
On ajoutait, mais pas trop haut, cependant, car beaucoup le craignaient, qu’il prêtait à gros intérêts.
Il entretenait aussi, avec certains boutiquiers de Québec, on ne savait trop quel commerce de marchandises, qui lui arrivaient par le fleuve, durant la nuit, en grand mystère, et qu’il transportait tout aussi mystérieusement à la ville.
Quoi qu’il en soit, Guyard était riche. Mais plus ses biens s’accroissaient, plus son avarice se montrait sordide. Sa femme et sa fille manquaient parfois du nécessaire.
« Il faut tondre la laine et ne pas toucher à la brebis ; celui qui écorne ses biens-fonds est près de la ruine », ne manquait-il jamais de répondre au curé de Château-Richer, lorsque celui-ci hasardait quelques remarques sur sa manière de vivre et sur les privations qu’il imposait aux siens.
Ah ! le vieil intéressé, comme on l’appelait, il était loin d’écorner ses biens-fonds.
Trois fois par an, en sa qualité de notable, Pierre Guyard devait offrir le pain bénit à l’église paroissiale de Château-Richer. Malgré sa ladrerie, jamais il n’avait cherché à se soustraire à cette obligation ; non point qu’il fut dévot, n’ayant guère d’autre religion que l’argent, mais parce que c’était une habitude prise et qu’il n’eût point osé y manquer.
Seulement pour se rattraper de cette dépense extraordinaire, il veillait à ce que, dans son intérieur on fit des économies, c’est-à-dire que, durant toute la semaine qui précédait et celle qui suivait cette largesse, on mangeait moins que d’habitude. Et comme en temps ordinaire, ni sa femme ni sa fille ne mangeaient à leur faim, vous voyez d’ici ce que pouvaient être ces deux semaines.
L'avare Scènes humoristique et éducative de la morale chrétienne
Scène médiévale Image Google

Or donc, un soir de novembre de l’an de grâce 1668, maître Guyard, après un frugal repas, prenait le frais devant sa porte. Le frais est bien dire, car cette saison n’est jamais chaude en notre pays, mais c’était encore là qu’on était le mieux, la maison n’étant chauffée que parcimonieusement et seulement aux plus grands froids.
Dame Guyard et sa fille tricotaient à qui mieux mieux sous l’œil attentif de leur époux et père.
– Il fait bien bon, ce soir, femme, dit Guyard, après un long silence. Oui, bien bon, il y a des années que nous n’avons eu de si belles soirées en novembre.
Et cela voulait dire : la bonne affaire, c’est tant de bûches d’économisées sur le chauffage.
– Hein donc ! mon homme, repartit la tricoteuse sans lever les yeux de son travail qu’elle parut vouloir activer encore.
Et la conversation tomba. Les deux époux n’avaient plus rien à se dire. Pierre n’était pas loquace. Les paroles n’abondaient sur ses lèvres que lorsqu’il s’agissait de conclure un bon marché.
Tout à coup passa, en courant, une petite fille qui ramenait chez elle la vache de ses parents. Elle se retourna en criant, à la fois curieuse et troublée :
– Un seigneur ! Un beau seigneur qui vient par le chemin du roi.
En effet, par le chemin tortueux, aux ornières profondes, s’avançait un gentilhomme de haute stature, feutre roux, à larges bords, orné d’une plume rouge énorme, bottes également rouges et épée au côté. Il semblait venir de Sainte-Anne de Beaupré ; il tenait à la main une bride et une selle de cheval.
Lorsqu’il arriva devant la maison de l’avare, il s’arrêta et poliment s’avança vers le groupe.
– Messire, dit-il à Pierre Guyard, mon cheval a fait un faux pas sur la côte et a roulé dans le fleuve ; il a bien failli m’entraîner avec lui. J’ai pu sauver la bride et la selle mais l’onde a gardé le reste. Or je suis pressé ; il me faut absolument un autre cheval pour gagner Québec où je suis attendu, ce soir, chez le gouverneur. Vous plairait-il de me dire si, dans les alentours, quelqu’un pourrait me vendre une monture ?
– Holà ! Monseigneur, repartit le rusé marchand, ceux qui veulent acheter des chevaux ne viennent point à Château-Richer. S’il s’agissait de vaches, il ne serait guère difficile de vous en trouver une, mais des chevaux, dame, c’est plus rare, beaucoup plus rare.
– Vous ne voudriez cependant pas que j’arrive à Québec sur le dos d’une vache, tout le monde se moquerait de moi et M. de Courcelle 1 refuserait certainement de me recevoir en semblable équipage. Mais il doit bien y avoir, par ici, un cheval à vendre, d’autant plus que je payerai bon prix.
– Alors il y aurait peut-être moyen de s’arranger. J’ai deux chevaux à l’écurie, et quoiqu’ils me soient, l’un et l’autre, fort utiles, je pourrais vous en céder un contre argent comptant.
– Allons les voir, dit l’étranger.
– Oh ! ne vous dérangez pas, on va nous l’amener.
Pierre Guyard avait en effet deux chevaux à l’écurie, mais comme il avait décidé de vendre le plus mauvais, il ne se souciait pas que l’acheteur put les comparer.
– Mélanie, dit-il vivement à sa femme, va chercher la jument. Et il ajouta en aparté, pensant que le voyageur ne l’entendait pas : « Voilà l’occasion ou jamais de me débarrasser de cette vieille rosse. »
Mélanie courut à l’écurie et revint bientôt traînant, derrière elle, un cheval poussif et à moitié boiteux.
– Hum ! fit le gentilhomme, à la vue de la jument, m’est avis que votre bête ne vaut pas grand argent.
– Comment ! protesta le maquignon improvisé, une bête pareille, travailleuse comme pas une et qui ne mange presque rien.
– Ah ! quant à ne rien manger, je le crois facilement, elle est maigre à faire pitié ! Le diable lui-même ne saurait lui rendre sa vigueur.
– C’est pourtant ce que j’ai de mieux.
– Que doit être l’autre, alors ? N’importe, il me faut un cheval et je prends celui-là ; combien en voulez-vous ? Un louis ?
– Un louis ! Monseigneur veut rire, il me faut vingt louis.
– Peste ! ce n’est pas rien, compère !
– J’ai dit vingt louis, pas un sol de moins.
– Je n’ai, sur moi, que douze louis, mais si vous voulez, je vous laisserai, en gage du surplus, la chaîne d’or que voici.

Person riding the devil, for example used at Montague Summers Malleus Maleficarum (1971), nachkoloriert
XVe siècle Domaine publique

Et le gentilhomme présenta à l’avare une superbe chaîne d’or, valant à elle seule, cinquante louis.
– J’accepte, Monseigneur, mais il demeure entendu que si, dans un mois, jour pour jour, vous ne m’avez pas payé les huit louis que vous me devez encore, la chaîne m’appartiendra.
Quelques voisins s’étaient groupés à une courte distance, pour voir, de plus près, le bel inconnu.
– Accordé, fit celui-ci.
– Vous êtes témoins vous autres, s’exclama alors Pierre Guyard, interpellant les curieux qui se rapprochèrent.
C’était marché conclu.
Sans ajouter un mot, l’étranger remit à Pierre Guyard les douze louis ainsi que la chaîne d’or dans une magnifique cassette en bois précieux. Puis il harnacha lui-même la jument avec précaution, lui passa doucement la main sur le cou et se mit en selle.
La jument frissonna sous la caresse de l’étranger, hennit avec force et sembla rajeunie aux yeux de tous.
Elle secoua la tête à plusieurs reprises, huma le vent et, à la stupéfaction des spectateurs qui, depuis plusieurs années, la voyaient cheminer lourdement, la tête basse, elle partit ventre à terre, dans un tourbillon de poussière et de flammes, de vraies flammes qui semblaient jaillir du sol sous ses sabots.
– Au revoir et à bientôt, mon vendeur, s’écria l’étranger au moment de disparaître.
Et comme il s’évanouissait au tournant de la route, il laissa échapper un éclat de rire strident, sinistre, qui glaça de terreur tous les assistants.
Pierre Guyard demeurait cloué au sol, la bouche ouverte, le corps penché, les bras ballants.
– C’est pourtant bien ma jument, ma vieille jument, fit-il.
– Hé ! morguienne oui, ça l’est, approuva l’un des voisins, mais elle va d’un train d’enfer. On la dirait montée par le Diable.
– Qui sait ? murmura Pierre Guyard, rêveur... Après tout, qu’importe, il l’a payée bon prix. Me voilà bien débarrassé. Et s’il ne revient pas...
D’un geste amoureux, il caressa la précieuse cassette.

Hortus Deliciarum - 12th century Antichrist (left, shown with attributes of a king)
Artist: Herrad von Landsberg (about 1180) Domaine publique

Le lendemain, notre homme n’eut rien de plus pressé que d’aller contempler ses louis tout neufs et surtout la belle chaîne dont il avait rêvé une partie de la nuit.
« S’il pouvait ne pas revenir ! » Et à cette seule pensée, il souriait d’aise.
Il ouvrit la boîte pour contempler une fois de plus son trésor.
Mais à peine eut-il soulevé le couvercle qu’une fumée âcre s’échappa. Au fond de la cassette, plus rien, mais il en sortit une forme rouge avec des yeux de braise qui se mouvait dans la flamme et regardait l’avare.
Pierre Guyard en eut une telle épouvante qu’il poussa un grand cri, tomba à la renverse et rendit l’âme.
Sa femme et sa fille accoururent aussitôt.
Elles trouvèrent la cassette ouverte et, au fond, ce billet, sur une substance inconnue, en lettres rouges, encore brillantes :
« Pierre Guyard a voulu voler le Diable. C’est le Diable qui l’a volé. L’âme de l’avare, de l’homme sans pitié pour le pauvre, est attendue en enfer où elle a sa place marquée pour l’éternité. Elle y descendra au moment où Pierre Guyard ouvrira la cassette pour y admirer et désirer injustement le bijou de Satan. »
Pierre Guyard fut enterré dans un coin de son champ, le curé de Château-Richer ayant refusé au réprouvé la sépulture chrétienne.
Quant à sa femme et à sa fille, elles crurent devoir se dispenser de porter le deuil d’un damné qui, du reste, de son vivant, leur avait fait la vie bien dure.

Marmite de l'Enfer, 1235 (?)
Fragment du jubé du XIIIe s., cathédrale de BOURGES -
www.birhakeim-association.org

La jeune fille se maria bientôt à un jeune cultivateur de Beaupré. Mais il répugnait à l’époux d’habiter la maison où était mort un réprouvé ; il la donna au curé de Château-Richer pour être employée aux bonnes œuvres.
Or, comme cette année-là fut fondée la nouvelle paroisse de l’Ange-Gardien, la maison du damné devint le presbytère. Et jamais, au grand jamais, le Diable n’y fit voir le bout de ses griffes, ce à quoi il n’eût certainement pas manqué, si la descendance de l’avare ne l’eût consacrée à un usage pieux.
Eugène ACHARD

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Bisous à tous

mercredi 15 février 2012

Antony Valabrègue Promenade d’hiver

Antony Valabrègue
Promenade d’hiver

L’hiver qui vient, tardif et lent,
Laisse encor les branches flétries
Briller dans le soleil tremblant
Sur les arbres des Tuileries.

Dans le jardin comme autrefois
Elle suit les vieilles allées,
Que le souffle des premiers froids
D’un frisson à peine a troublées.

Elle tient son fils par la main,
Ainsi qu’un jeune camarade ;
L’enfant, que tout charme en chemin,
La distrait dans sa promenade.

C’est pour elle tout un bonheur
De se prêter au babillage
De ce cher petit promeneur
Qui grandit, fait à son image.

Elle retrouve en lui la fleur
De toutes les choses passées ;
Il a ses traits, et sa pâleur,
Souvent même il a ses pensées ;

Mais le ciel frileux et changeant
Où le doigt de l’hiver se pose,
Terni dans sa blancheur d’argent,
Se couvre d’une vapeur rose.

L’enfant devient silencieux :
L’air froid le tourmente et le lasse.
Le vent lui fait baisser les yeux,
Avec son souffle qui le glace.

Souvent il souffre ainsi le soir.
Sa mère, qu’une crainte oppresse,
Triste, en secret, pense, à le voir,
Qu’il tient d’elle cette faiblesse.

Elle a peur du vague avenir,
Dont l’ombre déjà la menace.
Comme elle voudrait retenir,
Vain effort, cette heure qui passe !

De tout son être elle défend,
Le serrant d’un geste plus tendre,
Ce fils si frêle, unique enfant,
Dont l’amour semble la comprendre.

Et, l’embrassant d’un long regard,
Elle rêve, en son cœur qui tremble,
De la mort comme d’un départ,
Qui tous deux les prendrait ensemble.

Le Parnasse contemporain : Recueil de vers nouveaux, Slatkine Reprints, 1971, III. 1876

Qu'elle est jolie la musique des mots !
Bisous à tous

mardi 14 février 2012

La Saint Valentin

POUR LES AMOUREUX...
Une petite histoire de la Saint Valentin

L'origine de la fête de la Saint-Valentin est assez mal connue. Il semblerait cependant qu'elle remonte à l'Antiquité.



Saint-Valentin, avant d'être saint, était un prêtre romain du nom de Valentin vivant sous le règne de l'Empereur Claude II (IIIème S.apr-JC). A cette époque, Rome était engagée dans des campagnes militaires sanglantes et impopulaires. Claude II, également surnommé Claude le Cruel, ayant des difficultés à recruter des soldats pour rejoindre ses légions, décida d'interdire le mariage pensant que la raison pour laquelle les romains refusaient de combattre était leur attachement à leurs femmes et foyers respectifs. Malgré les ordres de l'Empereur, Saint-Valentin continua pourtant de célébrer des mariages. Lorsque Claude II apprit l'existence de ces mariages secrets, il fit emprisonner Valentin. C'est pendant son séjour en prison que Valentin fit la connaissance de la fille de son geôlier, une jeune fille aveugle à qui, dit-on, il redonna la vue et adressa une lettre, avant d'être décapité, signé " Ton Valentin ".

Ce n'est que plusieurs siècles après, une fois l'Empire romain déchu, qu'il fut canonisé en l'honneur de son sacrifice pour l'amour. Cette époque est en effet celle où une vaste entreprise de transformation des fêtes païennes en fêtes chrétiennes est menée par l'Eglise Catholique.

La Saint-Valentin fut ainsi instituée pour contrer une fête païenne (Lupercalia) à l'occasion du Jour de la fertilité, dédiée à Lupercus, dieu des troupeaux et des bergers, et Junon, protectrice des femmes et du mariage romain.
En effet, cette fête était l'occasion de célébrer des rites de fécondité, dont le plus marquant était la course des Luperques, au cours de laquelle des hommes à moitié nus poursuivaient les femmes et les frappaient avec des lanières de peau de bouc. Les coups de lanière reçus devaient assurer aux femmes d'être fécondes et d'avoir une grossesse heureuse.
On dit aussi qu'à cette occasion, une sorte de loterie de l'amour était organisée qui consistait à tirer au hasard le nom des filles et des garçons inscrits de façon à former des couples pour le reste de l'année.


Voilà qui n'était pas pour plaire aux Saints Pères de l'Eglise primitive qui instaurèrent donc une fête particulière en l'honneur de Saint-Valentin, mort le 14 février 268, ou 270, selon les versions.

Une autre origine de la Saint-Valentin, enfin, remonte au Moyen-Age. On dit en effet qu'à cette époque une croyance se répandit en France et en Angleterre selon laquelle la saison des amours chez les oiseaux débutait le 14 février et que, prenant exemple sur eux, les hommes trouvèrent ce jour propice à la déclaration amoureuse. C'est ainsi que depuis, à la Saint Valentin, chaque Valentin cherche sa Valentine pour mieux roucouler au printemps

http://archives.arte.tv/special/valentin Photos Wikipédia

La Saint-Valentin dans le Monde

Peynet Image Google

En Chine, depuis les années 1980, la Saint-Valentin connaît une popularité importante, notamment chez les jeunes, qui génère diverses activités commerciales. À part la Saint-Valentin, il existe une fête traditionnelle, le Qi Qiao Jie, pour les amoureux, provenant d’une légende ancienne, dont la date est le septième jour du septième mois du calendrier lunaire.
Au Japon, les femmes offrent des chocolats à l'être aimé ; ces chocolats sont appelés honmei choco (本命チョコ?), c'est-à-dire « chocolats de la destinée ». Ceux offerts à leurs collègues masculins se nomment giri choco (義理チョコ?), les « chocolats de courtoisie ». Les collégiennes et lycéennes offrent à leurs amies des tomo choco (友チョコ?), « chocolats de l’amitié ». Tous ces chocolats peuvent être fait main. Ils n'en ont que plus de valeur (sentimentalement parlant). Implicitement, c'est aussi un moyen de prouver son potentiel de (future) maîtresse de maison. On en a un bon exemple dans l'épisode 5 de la série animée intitulée B Gata H Kei.
Le 14 mars, appelé white day (le jour blanc) a été créé au Japon et repris par la Corée du Sud, Taiwan et Hong Kong. À cette date les hommes ayant reçu des chocolats lors de la Saint Valentin offrent aux femmes un cadeau en retour. Cela peut être du chocolat blanc, des bijoux ou de la lingerie (de couleur blanche). La valeur (monétaire) de ces cadeaux peut être deux à trois fois supérieure à celle des chocolats de ces dames.
La Saint-Valentin s’est popularisée également en Inde et au Pakistan, provoquant l’hostilité de certains groupes opposés à cette influence occidentale.

Au Brésil, on ne parle pas de Saint-Valentin mais de dia dos namorados (jour des amoureux) fêté non pas le 14 février mais le 12 juin.
En Colombie, la Saint-Valentin est fêtée le troisième samedi du mois de septembre. Elle s'appelle día del amor y amistad (jour de l'amour et de l'amitié).

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dimanche 12 février 2012

Ne zappez pas !




Attention à vous ! Et merci à Christel qui a relayé le message

vendredi 10 février 2012

Lucien de Samosate Eloge de la mouche

Gravure du buste de Lucien de Samosate (v. 120–mort après 180)
XVIIe siècle Auteur William Faithorne (1627–1691) Domaine publique

"1. La mouche n'est pas le plus petit des êtres ailés, si on la compare aux moucherons , aux cousins, et à de plus légers insectes ; mais elle les surpasse en grosseur autant qu'elle le cède elle-même à l'abeille. Elle n'a pas, comme les autres habitants de l'air, le corps couvert de plumes, dont les plus longues servent à voler; mais ses ailes, semblables à celles des sauterelles, des cigales et des abeilles, sont formées d'une membrane dont la délicatesse surpasse autant celles des autres insectes qu'une étoffe des Indes est plus légère et plus moelleuse qu'une étoffe de la Grèce. Elle est fleurie de nuances comme les paons, quand on la regarde avec attention, au moment où, se déployant au soleil, elle va prendre l'essor.

2. Son vol n'est pas, comme celui de la chauve-souris , un battement d'ailes continu, ni un bond comme celui de la sauterelle ; elle ne fait point entendre un son strident comme la guêpe, mais elle plane avec grâce dans la région de l'air à laquelle elle peut s'élever. Elle a encore cet avantage, qu'elle ne reste pas dans le silence, mais qu'elle chante en volant, sans produire toutefois le bruit insupportable des moucherons et des moustiques , ni le bourdonnement de l'abeille, ni le frémissement terrible et menaçant de la guêpe : elle l'emporte sur eux en douceur autant que la flûte a des accents plus mélodieux que la trompette et les cymbales.

3. En ce qui regarde son corps, sa tête est jointe au cou par une attache extrêmement ténue ; elle se meut en tous sens avec facilité et ne demeure pas fixe comme dans la sauterelle : ses yeux sont saillants, solides, et ressemblent beaucoup à de la corne ; sa poitrine est bien emboîtée, et les pieds y adhèrent, sans y rester collés comme dans les guêpes. Son ventre est fortement plastronné, et ressemble à une cuirasse avec ses larges bandes et ses écailles. Elle se défend contre son ennemi, non avec son derrière, comme la guêpe et l'abeille, mais avec la bouche et la trompe, dont elle est armée comme les éléphants, et avec laquelle elle prend sa nourriture, saisit les objets et s'y attache, au moyen d'un cotylédon placé à l'extrémité. Il en sort une dent avec laquelle elle pique et boit le sang. Elle boit aussi du lait, mais elle préfère le sang, et sa piqûre n'est pas très-douloureuse. Elle a six pattes, mais elle ne marche que sur quatre ; les deux de devant lui servent de mains. On la voit donc marcher sur quatre pieds, tenant dans ses mains quelque nourriture qu'elle élève en l'air d'une façon tout humaine, absolument comme nous.

4. Elle ne naît pas telle que nous la voyons : c'est d'abord un ver éclos du cadavre d'un homme ou d'un animal ; bientôt il lui vient des pieds, il lui pousse des ailes, de reptile elle devient oiseau ; puis, féconde à son tour, elle produit un ver destiné à être plus tard une mouche. Nourrie avec les hommes, leur commensale et leur convive, elle goûte à tous les aliments excepté l'huile : en boire, pour elle c'est la mort. Quelque rapide que soit sa destinée, car sa vie est limitée à un court intervalle, elle se plaît à la lumière et vaque à ses affaires eu plein jour. La nuit, elle demeure en paix , elle ne vole ni ne chante, mais elle reste blottie et sans mouvement.

5. Pour prouver que son intelligence est loin d'être bornée, il me suffit de dire qu'elle sait éviter les pièges que lui tend l'araignée, sa plus cruelle ennemie. Celle-ci se place en embuscade, mais la mouche la voit, l'observe, et détourne son essor pour ne pas être prise dans les filets et ne pas tomber entre les pattes de cette bête cruelle. À l'égard de sa force et de son courage , ce n'est point à moi qu'il appartient d'en parler, c'est au plus sublime des poètes, à Homère. Ce poète, voulant faire l'éloge d'un de ses plus grands héros, au lieu de le comparer à un lion, à une panthère, ou à un sanglier, met son intrépidité et la constance de ses efforts, en parallèle avec l'audace de la mouche, et il ne dit pas qu'elle a de la jactance, mais de la vaillance. C'est en vain, ajoute-t-il, qu'on la repousse, elle n'abandonne pas sa proie, mais elle revient à sa morsure. Il aime tant la mouche, il se plaît si fort à la louer, qu'il n'en parle pas seulement une fois ni en quelques mots, mais qu'il en rehausse souvent la beauté de ses vers. Tantôt il en représente un essaim qui vole autour d'un vase plein de lait ; ailleurs, lorsqu'il nous peint Minerve détournant la flèche qui allait frapper Ménélas à un endroit mortel, comme une mère qui veille sur son enfant endormi, il a soin de faire entrer la mouche dans cette comparaison. Enfin, il décore les mouches de l'épithète la plus honorable, il les appelle serrées en bataillons, et donne le nom de nations à leurs essaims.

6. La mouche est tellement forte, que tout ce qu'elle mord, elle le blesse. Sa morsure ne pénètre pas seulement la peau de l'homme, mais celle du cheval et du bœuf. Elle tourmente l'éléphant, en s'insinuant dans ses rides, et le blesse avec sa trompe autant que sa grosseur le lui permet. Dans ses amours et son hymen, elle jouit de la plus entière liberté : le mâle, comme le coq, ne descend pas aussitôt qu'il est monté ; mais il demeure longtemps à cheval sur sa femelle qui porte son époux sur son dos et vole avec lui, sans que rien trouble leur union aérienne. Quand on lui coupe la tête, le reste de son corps vit et respire longtemps encore.

7. Mais le don le plus précieux que lui ait fait la nature, c'est celui dont je vais parler : et il me semble que Platon a observé ce fait dans son livre sur l'immortalité de l'âme. Lorsque la mouche est morte, si on jette sur elle un peu de cendre, elle ressuscite à l'instant, reçoit une nouvelle naissance et recommence une seconde vie. Aussi tout le monde doit-il être convaincu que l'âme des mouches est immortelle, et que, si elle s'éloigne de son corps pour quelques instants, elle y revient bientôt après, le reconnaît, Je ranime et lui fait prendre sa volée. Enfin elle rend vraisemblable la fable d'Hermotimas de Clazomène, qui disait que souvent son âme le quittait, et voyageait seule, qu'ensuite elle revenait, rentrait dans son corps, et ressuscitait Hermotimus.

8. La mouche, cependant, est paresseuse; elle recueille le fruit du travail des autres, et trouve partout une table abondante. C'est pour elle qu'on trait les chèvres ; que l'abeille, aussi bien que pour les hommes, déploie son industrie ; que les cuisiniers assaisonnent leurs mets, dont elle goûte avant les rois sur la table desquels elle se promène, vivant comme eux et partageant tous leurs plaisirs.

9. Elle ne place point son nid et sa ponte dans un lieu particulier, mais, errante en son vol, à l'exemple des Scythes, partout où la nuit la surprend, elle établit sa demeure et son gîte. Elle n'agit point, comme je l'ai déjà dit, pendant les ténèbres : elle ne veut pas dérober la vue de ses actions et ne croit pas devoir faire alors ce qu'elle rougirait de faire en plein jour.

Mouche verte de dos - Green fly Travail personnel de KoS sur Wikimédia Commons

La Fable nous apprend que la mouche était autrefois une femme d'une beauté ravissante, mais un peu bavarde, d'ailleurs musicienne et amateur de chant. Elle devint rivale de la Lune dans ses amours avec Endymion. Comme elle se plaisait à réveiller ce beau dormeur, en chantant sans cesse à ses oreilles et lui contant mille sornettes, Endymion se fâcha, et la Lune irritée la métamorphosa en mouche. De là vient qu'elle ne veut laisser dormir personne, et le souvenir de son Endymion lui l'ait rechercher de préférence les jolis garçons, qui ont la peau tendre. Sa morsure, le goût qu'elle a pour le sang, ne sont donc pas une marque de cruauté, c'est un signe d'amour et de philanthropie : elle jouit comme elle peut et cueille une fleur de beauté.

11. Il y eut chez les anciens une femme qui portait le nom de Mouche : elle excellait dans la poésie, aussi belle que sage. Une autre Mouche fut une des plus illustrés courtisanes d'Athènes. C'est d'elle que le poète comique a dit :

La Mouche l'a piqué jusques au fond du cœur.

Ainsi, la muse de la comédie n'a pas dédaigné d'employer ce nom et de le produire sur la scène; nos pères ne se sont point fait un scrupule d'appeler ainsi leurs filles. Mais la tragédie elle-même parle de la mouche avec le plus grand éloge, quand elle dit ;

Quoi ! la mouche peut bien, d'un courage invincible

Fondre sur les mortels, pour s'enivrer de sang,

Et des soldats ont peur du fer étincelant !

J'aurais encore beaucoup de choses à dire de la Mouche, fille de Pythagore, si son histoire n'était connue de tout le monde."


Une jolie surprise durant mes recherches. Joli ce texte si vieux ! Mais j'avoue que quand je trouve une mouche à la maison, je déteste !
Et en cherchant une photo sur Wikipédia, je vous ai trouvé ceci :

Expressions françaises contenant le mot “mouche”

-Cuisse de mouche : d'après Pierre Perret, fille maigrichonne.
-Enculer les mouches (vulgaire) : se perdre dans des détails inutiles, on dit aussi plus élégamment sodomiser les diptères ou se livrer à des mœurs contre-nature avec les diptères. On peut tout aussi élégamment employer le terme diptérophile. Citation : « Il y a deux façons d'enculer les mouches : avec ou sans leur consentement. » Boris Vian.
-Faire mouche : au tir, atteindre le centre de la cible. Le point noir au centre d'une cible s'appelle "la mouche", d'où l'expression. Par extension au figuré, lors d'une discussion, prononcer une réplique qui atteint nettement son but (argument convaincant, propos volontairement blessant, ou au contraire encourageant, etc.).
-Fine-mouche : personne habile.
-Gobe-mouche : benêt.
-Mouche du coche : en référence à La Fontaine, personne persuadée de son importance, s'imposant et gênant l'effort d'autrui.
-Ne pas faire de mal à une mouche : être sans aucune méchanceté, inoffensif.
-Pattes de mouche : écriture maladroite et pleine de ratures.
-Prendre la mouche : s'offusquer, pour un prétexte souvent futile.
-Quelle mouche l'a piqué ? : il est devenu fou.
-Regarder voler les mouches : ne pas être attentif.
-Tomber comme des mouches : avoir un fort taux de mortalité.
-Entendre une mouche voler : avoir du silence
-Un motif moucheté : un motif fait de pleins de petits points


Et si vous avez envie d'en savoir plus sur Julien de Samosate, vous en saurez plus sur l'année 190 du blog Art et Histoire et si vous avez encore du temps, un autre texte s'appelle "Contre un ignorant bibliomane" Toujours en cliquant sur la droite.

Bisous à tous