L’arbre de Noël Charles
Dickens 5
Nous
devenons nerveux, de plus en plus nerveux, et nous avons beau vouloir dominer
nos nerfs par notre raison, nos nerfs l’emportent. Nous nous disons :
« C’est vraiment ridicule » ; mais nous n’y tenons plus, il faut
sonner et prétexter une indisposition. Déjà notre main se dirigeait vers le
cordon de la sonnette, quand la porte s’ouvre d’elle-même et entre une jeune
femme, horriblement pâle, avec une longue chevelure flottante, qui glisse
jusqu’au feu, s’assoit dans le même fauteuil que nous occupions naguère, et là
se tord les mains. Nous remarquons alors que ses vêtements sont humides. Notre
langue se colle à notre palais et nous ne pouvons prononcer un seul mot ;
mais nous observons avec toute l’attention dont nous sommes capable cette apparition.
Ses vêtements sont humides, ses longs cheveux souillés de vase ; elle est
dans le costume que les femmes portaient il y a deux cents ans, et à sa
ceinture pend un trousseau de clefs rouillées. Elle est donc là, assise, et
nous ne savons comment nous ne perdons pas connaissance, tant nous sommes
terrifié. Tout à coup la jeune femme se lève et va essayer ses clefs rouillées
à toutes les serrures de la chambre : aucune ne va. Puis elle fixe les
yeux sur le portrait du chevalier vert et dit à voix basse, avec un accent
terrible : « Les cerfs le savent. » Après quoi elle se tord
encore les mains, passe devant notre lit, et se retire par où elle était venue.
Nous passons à la hâte notre robe de chambre ; nous prenons nos pistolets
(car nous voyageons toujours avec des pistolets), et nous voulons suivre
l’apparition ; mais nous trouvons la porte fermée. Nous tournons la clef,
nous regardons dans la galerie sombre... personne. Nous tâchons de trouver la
chambre où notre domestique est couché, et nous ne parvenons pas à la
découvrir.
Nous nous
promenons dans la galerie sombre jusqu’au point du jour, et nous rentrons dans
notre chambre déserte, où le sommeil nous gagne. C’est notre domestique qui
nous réveille, notre domestique, qui ne voit jamais, lui, de revenants. Nous
descendons auprès de nos hôtes et faisons un triste déjeuner, tous les convives
disant que nous avons un air singulier. Notre hôte nous accompagne pour nous
montrer tout son château, et nous l’entraînons nous-même devant le portrait du
chevalier vert... Là tout est expliqué. Le chevalier vert avait trompé une
jeune fille de charge attachée à la famille et d’une rare beauté. La jeune
fille s’était noyée dans une pièce d’eau, où son corps fut découvert parce que
les cerfs refusaient de s’y désaltérer. « Depuis ce temps-là, nous dit
notre hôte, on a toujours prétendu qu’elle traversait la maison à l’heure de
minuit, essayant ses clefs rouillées à toutes les serrures et surtout à celle
de cette chambre à coucher, qui était la chambre du chevalier vert. » Nous
confions alors à notre hôte l’apparition que nous avons vue, et lui, d’un air
sombre, il nous prie de ne pas en parler. Voilà toute l’histoire ; mais
elle est vraie, comme nous l’avons attesté avant de mourir (car nous sommes
mort), en présence de témoins respectables.
A suivre