mercredi 25 décembre 2013

Noël de père Oscar LEMYRE Les Voix.




Il rêve près du feu qui pétille et qui chante,
Le pauvre homme, si seul, en cette nuit qu’enchante
L’écho du carillon joyeux du vieux clocher.
Il rêve aux vieux noëls, et ses yeux vont chercher,
Dans la flamme joyeuse, un souvenir d’ivresse,
Souvenir de bonheur, d’amour et de tendresse.
Cette nuit où, tout seul, il se sent malheureux,
Tout son passé revient vivre devant ses yeux.

C’est d’abord le Noël de la joyeuse enfance,
Le Noël qu’on attend de longs mois à l’avance,
Qui charme les enfants et fait rêver les vieux,
Celui des tout petits, charmant, mystérieux,
Alors qu’on s’en allait tous ensemble à l’église,
Se cachant jusqu’au front, dans sa crémone grise ;
Et quand on arrivait dans le temple, là-bas,
Étouffant avec soin, le bruit sourd de ses pas,

On s’arrêtait, saisi par l’éclat des lumières,
Le chant joyeux de l’orgue et l’air plein de mystères ;
Et, plus loin, tout au fond du sublime décor,
Le prêtre, en son costume aux longues franges d’or ;
L’autel resplendissant d’un éclat féerique,
Tout ce luxe, pour nous, mystérieux, magique,
Qui nous laissait ravis, les yeux extasiés
Errant tout à l’entour, jamais rassasiés.
Puis, quand on allait voir, sur sa couche de paille,
Le petit Enfant-Dieu, près du gros bœuf qui bâille,
On oubliait soudain les lumières, le chant,
Pour ne plus contempler que le petit Enfant.

Puis, un autre Noël, celui de la jeunesse,
Alors qu’il s’en allait gravement à la messe,
Jeune homme de vingt ans, seul avec sa Margot,
Très gênés tous les deux et sans se dire un mot.
Comme il trouvait, pourtant, sa chère et vieille église
Plus belle, sous l’éclat des yeux de sa promise.
C’est, penchés sur la Crèche, aux pieds de l’Enfant-Dieu,
Qu’ils avaient échangé leur premier tendre aveu.
Puis, au Noël suivant, un mignon bébé rose
Tend au petit Jésus ses deux menottes closes ;
Les deux époux, heureux, sans honte et sans détour,
Échangent, dans l’église, un long regard d’amour.
Mais des ans ont passé. La tristesse est venue.
La douleur sans pitié, jusqu’alors inconnue,
Dans ce logis d’amour a fait verser des pleurs :
Celle qu’il aimait tant, sa Margot, son bonheur,
Un soir de février, est morte résignée,
En serrant dans ses bras sa fillette adorée.

D’autres ans ont passé. Sous ses cheveux tout blancs,
Il paraît vieux, très vieux, et les regrets constants,
Le chagrin, la douleur, ont brisé sa pauvre âme.
Il pleure, tous les soirs, en pensant à sa femme.

Mais sa fille lui reste. Oh ! Celle-là, du moins,
Elle ne mourra pas ! Il l’entoure de soins.
L’amour, sans pitié pour son âme de père,
A semé près de lui la solitude amère.
Sa Gilberte est partie, au bras de son époux.

Maintenant, il est seul, avec ses rêves fous,
Depuis un an déjà, sans amour, sans caresse,
Avec son désespoir de vieux que l’on délaisse.
Sa tête lasse penche, et l’étrange lueur
Du feu sur son front blanc, d’une immense douleur
Semble être le reflet.
Soudain, sous une étreinte,
Il sent son front serré. Deux bras, comme avec crainte,
Pour ne pas l’éveiller, s’attachent à son cou.
Il relève la tête, avec un regard fou.
Est-ce un rêve ? Sa fille est près de lui, rieuse,
Et l’enveloppe tout d’une caresse heureuse.
Elle prend son enfant, petit être aux yeux doux,
Les yeux de sa Margot, le met sur ses genoux.

Il regarde l’enfant et soudain, il l’enlace,
Le serre près de lui, le cajole et l’embrasse ;
Et, de ses pauvres yeux, rougis par la douleur,
S’échappent, cette fois, des larmes de bonheur.

Et, comme pour bercer sa gaîté retrouvée,
Les cloches, dans la nuit, lancent leur envolée.

Oscar LEMYRE, Les Voix.
Recueilli dans Répertoire poétique,
poésies et monologues recueillis
par Camélienne Séguin,
Montréal, 1937.

lundi 23 décembre 2013

Le Noël du pâtre Henri PAUTHIER,



La neige sur les champs s’amoncelle sans bruit,
Et la cloche, là-bas, tinte à travers la nuit ;
Les villageois s’en vont, en troupeaux, dans la lande,
Le nez rouge, et les doigts par la bise engourdis,
Vers le seuil de l’église ouverte toute grande,
De cierges étoilés ainsi qu’un Paradis.

Tous sont venus, les gars à la mine faraude
Dont la veste de drap déborde sous la blaude,
Les aïeules courbant le dos sur leur bâton,
Les filles des hameaux avec leurs caules blanches,
Et leurs fichus à fleurs noués sous le menton
Où scintille en marchant la croix d’or des dimanches

Les gens de la montagne ont quitté leurs chalets
Dont on voit au matin monter en longs filets
À travers les sapins la bleuâtre fumée ;
Ils ont marché longtemps à travers le verglas,
Balançant à la main leur lanterne allumée ;
Ils courbent leur échine et leurs genoux sont las.

Et la procession des femmes et des hommes,
Des bambins en sabots, joufflus comme des pommes,
Loin des âtres mourants et des chaumes déserts,
S’en va dans la nuit noire, et sous les cieux moroses,
Et l’on entend hurler longuement dans les airs
Les chiens se lamentant au seuil des maisons closes.

Rémi, le petit pâtre, à la ferme est resté,
Blotti dans la chaleur de l’étable, à côté
Des grands bœufs de labour et des vaches laitières ;
Quand sifflent les vents froids d’hiver, c’est-là qu’il dort,
Bercé par le bruit doux et soyeux des litières
Où s’allument la nuit de pâles reflets d’or ;

En été, Rémi couche au milieu des pâtures,
Sous un toit de branchage, où par mille ouvertures
Coule l’azur des nuits comme l’eau de la mer ;
Il s’endort en rêvant sous les étoiles blondes,
Et se réveille au bruit des clochettes de fer
Tintant dès l’aube au cou des vaches vagabondes ;

Il pousse tout le jour ses bêtes dans les champs ;
Pour se distraire, il sait les vieux refrains touchants
Qu’on fredonne en tillant l’hiver à la veillée ;
Il saute par-dessus les grands feux de bergers,
Déniche la noisette au fond de la feuillée,
Et fait de beaux sifflets à l’ombre des murgers.

Rémi, le petit pâtre, est heureux comme un prince ;
Il ne donnerait pas pour l’or de la province
Son grand fouet dont le manche est taillé dans un houx,
Son fouet qui le matin dans l’air claque et tournoie
Tandis qu’à l’abreuvoir boivent les grands bœufs roux :
Pourtant Rémi ce soir n’a pas le cœur en joie.

Il songe, le menton appuyé sur sa main ;
Les enfants du fermier sont heureux, car demain
Les beaux joujoux et les friandises bien tendres
Rempliront leurs souliers quand le jour aura lui ;
Seul, Rémi n’a pas mis ses sabots près des cendres,
Car bonhomme Noël ne viendra pas pour lui.

Du fond de la cuisine arrive dans l’étable
Jusqu’au nez du pauvret le parfum délectable
De l’andouille fumée et de l’oie aux marrons ;
Il en a par moments l’âme tout embaumée ;
Il soupire dans l’ombre, écoutant les ronrons
De la flamme léchant la marmite enfumée ;

Hélas ! quand finira la messe de minuit,
D’autres mangeront l’oie et boiront le vin cuit,
Tandis qu’il jeûnera comme aux jours du carême ;
Pour eux la pâte épaisse et tendre des gâteaux
Où sur les jaunes d’œufs battus dans la crème
De sucre, comme un givre, étend ses blancs cristaux.

Il songe à tout cela, le cœur plein d’amertume ;
Dehors la bise siffle et hurle dans la brume ;
Il pleure, puis s’endort après qu’il a pleuré,
Et Saint-Jean, patron des bergers de la prairie,
Envoie au petit pâtre un beau songe doré
Afin que son chagrin s’apaise, et qu’il sourie.

À Bethléem, auprès de Jésus nouveau-né
Rémi se voit en rêve à genoux prosterné ;
Il entend dans le ciel des musiques étranges
Annonçant le Sauveur au monde réjoui ;
À l’entour du berceau voltigent de beaux anges
Ouvrant leurs ailes d’or sur son front ébloui ;

Les pâtres accourus en chantant des cantiques
Apportent dans leurs mains des offrandes rustiques,
Et lui-même est venu du fond de la Comté ;
Le bel enfant Jésus vers lui penche la tête
Tandis que lui sourit la Vierge avec bonté,
Et la vache et le bœuf et l’âne lui font fête.

Rémi longtemps se berce en son rêve charmant ;
Puis il sent tout à coup sur sa joue, en dormant,
Une caresse humide et chaude qui se pose ;
Raymel, la vache blanche au poil taché de roux,
Léchant le petit pâtre avec sa langue rose
Le regarde dormir de ses deux grands yeux doux.
Henri PAUTHIER,
Au village, 1900.