Et il y
avait, au plus profond de la grande forêt, un bûcheron qui vivait tout seul
dans une hutte. Il s’appelait Carnutorix.
Il aimait
les grands arbres de la forêt. Il les connaissait, et donnait des noms aux plus
beaux. Lorsqu’il en abattait un, cela lui faisait beaucoup de peine. Et
pourtant, il fallait bien puisque c’était son métier...
Près de sa
hutte, se trouvait un vieux chêne tout tordu, au tronc énorme.
Il y avait
des touffes de gui dans les branches. C’est rare, le gui du chêne. Tous les
ans, les druides venaient le couper avec une faucille d’or, et ils offraient
des sacrifices au génie du tonnerre. Carnutorix avait un peu peur des druides
au mystérieux pouvoir : quand il les voyait venir, il se cachait. C’était
une sorte de sauvage.
Carnutorix
avait une sorte de couteau tranchant qu’un guerrier avait perdu en traversant
la forêt. Il fallait aiguiser souvent ce couteau sur un bloc de grès.
Un jour,
sans savoir trop ce qu’il faisait, le bûcheron eut une idée bizarre : dans
un morceau de chêne bien dur, il se mit à tailler un personnage : une
femme. Une femme portant un petit enfant dans ses bras. La statue était fort
grossière. Carnutorix n’était pas un grand artiste, mais cette femme lui
faisait penser à sa mère qui était morte quand il était tout petit.
Carnutorix
eut une idée plus bizarre encore : il installa la statue dans le creux du
chêne sacré. De temps en temps, il la regardait avec amour.
Un jour, le
bûcheron entendit la voix d’un enfant qui l’appelait. Il n’aimait pas être
dérangé dans sa solitude. Il grogna : « Qui donc est venu se perdre
par ici ? » Et en même temps, il se sentit envahi par une grande
douceur et il trembla.
Il cherchait
partout, et ne voyait personne. Mais voici que, levant les yeux, il aperçut la
statue dans le creux du vieux chêne, et il lui sembla que celle-ci s’animait.
Elle devenait très grande, et la femme était très belle et souriait ; elle
présentait son enfant au bûcheron, et son enfant agitait ses petits bras.
Et l’enfant
parla :
« Je
vais venir sur la terre, disait-Il. Et c’est pour toi que je viens. Pour toi et
pour tous les autres. Il faut que tu viennes Me voir dans mon pays
d’Orient. »
Carnutorix
restait là, tout interdit. Mais la statue ne bougeait plus. Elle avait repris
sa forme, elle était redevenue toute petite, et la belle dame ne souriait plus.
Le bûcheron
sentit qu’il fallait absolument qu’il s’en aille pour voir le petit enfant.
« Qu’est-ce que je pourrais bien lui apporter ? se disait-il. Il
faudrait que je lui fasse un cadeau, mais je n’ai rien. »
Il aperçut,
devant sa hutte, le tronc d’un chêne qu’il venait d’abattre et qu’il avait déjà
ébranché. Avec sa lourde cognée, il débita une énorme bûche et, sans plus
réfléchir, ayant jeté sur ses épaules une vieille peau de mouton, ayant serré
sa grossière ceinture de cuir, il partit à travers la forêt dans la direction
du soleil levant, roulant devant lui le lourd rondin de chêne.
*
Il marcha
longtemps, longtemps, sentant toujours en lui cette étrange douceur. Il gagnait
sa nourriture en abattant des arbres pour les gens des pays qu’il traversait.
Sa force de géant le faisait redouter, mais on voyait bien qu’il n’était pas
méchant. Il racontait aux enfants les légendes de sa forêt. Et toujours, il
veillait jalousement sur sa belle bûche de chêne dont l’écorce, peu à peu,
s’était usée et qui était maintenant lisse comme un galet de rivière.
Il arriva
ainsi devant la mer, la mer immense et bleue qu’il n’avait jamais vue. Il la
contempla longuement. Comment s’y prit-il pour se faire accepter par le patron
d’une barque qui allait appareiller ? Peut-être s’offrit-il comme rameur
en montrant avec orgueil ses bras noueux, aux muscles saillants.
Et le long
voyage reprit de l’autre côté de la mer. Le bon géant s’étonnait de voir des
animaux bizarres, des chameaux qui transportaient des bagages et des hommes...
Carnutorix
sentait – il n’aurait su dire pourquoi – que l’enfant mystérieux n’était plus
très loin. Bientôt, il le verrait. Et le bûcheron, suivant sa route en roulant
toujours sa bûche, se trouva pris dans une étrange caravane qui marchait la
nuit et se reposait le jour. Les chameliers se montraient une étoile brillante
qui semblait avancer avec eux et leur indiquer le chemin.
Un matin,
alors que l’aube faisait pâlir la belle étoile d’or, la caravane arriva dans un
petit village et le bûcheron entendit prononcer le nom de Bethléem. Sans savoir
comment, Carnutorix se trouva transporté dans une sorte d’étable et là, il
aperçut d’abord, assise sur un banc rustique, une dame qui souriait.
Il la
reconnut aussitôt et tomba à genoux. C’était la belle dame dont les traits lui
étaient apparus lorsque, dans la forêt gauloise, la statue de bois sculpté
s’était animée mystérieusement.
La dame
tenait dans ses bras le petit enfant...
Les riches
personnages de la caravane s’étaient avancés et, eux aussi, s’étaient mis à
genoux. Des serviteurs portaient des coffrets, et de ceux-ci l’on tirait
maintenant des choses étincelantes : or, perles, pierres précieuses. Des
parfums fumaient dans des cassolettes et embaumaient l’air.
Carnutorix
se sentit tout à coup très pauvre avec sa bûche. Très pauvre et très ridicule.
Le petit enfant était sans doute un fils de Roi. On lui offrait des trésors.
Le géant
sentit que les regards de tous se portaient sur lui. Les serviteurs ricanaient
et se poussaient du coude. Une telle détresse envahit le cœur du bûcheron qu’il
se sentit vieillir de vingt ans, et de grosses larmes tombèrent sur son billot
de chêne.
Mais le
petit enfant semblait ne pas voir les riches personnages, ni leurs serviteurs,
ni les coffrets remplis d’or, ni les cassolettes où fumait l’encens. Il
regardait le bûcheron prosterné et ses petits bras faisaient des gestes
d’amitié ; et voici que ses petites menottes applaudissaient. Carnutorix
s’enhardit et, se traînant sur les genoux, roulant sa bûche devant lui, il
s’approcha tout près, riant à travers ses larmes.
Et la belle
dame parla :
« Bûcheron,
tu es pauvre comme mon Enfant, mais ton cœur est riche parce que tu aimes. Tu
n’avais rien, mais tu as voulu donner ce qui te semblait une grande richesse,
cette belle bûche de bois capable de brûler clair et de réchauffer les
malheureux transis. En vérité, je te le dis, dans tous les siècles et par tous
les pays, on brûlera désormais chaque année une belle bûche comme celle-ci en
souvenir de la naissance de mon Fils. Sa flamme joyeuse rappellera aux hommes
que, pour faire de grandes choses sur la terre, il faut un cœur tout brûlant
d’amour. »
« Et
voilà, dit ma mère-grand, la légende de la bûche de Noël. »
Jean VAILLANT.
Recueilli dans Et maintenant, une histoire,
deuxième volume, Fleurus, 1955.
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