L’arbre de Noël Charles Dickens
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D’autres
souvenirs et d’autres images se multiplient aux plus bas rameaux de l’arbre de
Noël : mes livres d’école fermés ; Virgile et Ovide muets ;
Térence et Plaute abandonnés sur un théâtre ; des pupitres qui ont été
mutilés avec des canifs ; l’ardoise aux calculs avec une démonstration
interrompue ; la règle de trois ayant cessé ses impertinentes
questions ; les raquettes, les cerceaux, les cordes à sauter laissés là
aussi ; mais l’arbre est toujours plus vert, quoique le gazon qui est à
ses pieds se soit fané sous les pas qui l’ont foulé joyeusement : c’est
que j’ai quitté l’école pour la maison paternelle, c’est que les études et les
récréations de la vie scolaire sont remplacées par les jeux et les danses de la
famille.
Ah !
nous voilà tous réunis confortablement autour du foyer, où je retrouve un
parfum de marrons rôtis et d’autres excellentes choses : j’écoute et puis
je parle à mon tour, faisant mes débuts de conteur : nous nous racontons
des histoires... et, je l’avoue avec un peu de honte, ce sont des histoires de
revenants. Quelle attention silencieuse ! quelle foi dans tous les
regards ! Nous voyons avec les yeux des personnages eux-mêmes, nous
passons par toutes les émotions qu’ils ont éprouvées. Comme ce tableau de
l’hiver est vrai ! Nous cheminons sous un ciel brumeux, à travers une
lande sauvage, jusqu’à ce que nous soyons arrivé devant une avenue qui nous conduit
à un vieux château dont les fenêtres sont éclairées par les lumières des
appartements : nous sonnons à la grille qui tourne sur ses gonds et nous
introduit sous les grands arbres aux branches dépouillées. À mesure que nous
avançons, ils forment derrière nous une voûte plus sombre, comme si nous avions
franchi les arceaux d’un souterrain qui nous défend de retourner sur nos pas.
Mais nous sommes un voyageur fatigué qui a perdu son chemin, brave gentilhomme
qui ne songe guère à battre en retraite, si l’on veut bien lui accorder
l’hospitalité jusqu’au lendemain. Le château ne nous ferme pas sa porte :
transi de froid, nous voyons, d’abord, avec une sensation de bien-être, la
vaste cheminée du vestibule, et puis celle du salon, où brûlent d’énormes
bûches que soutiennent de vieux chenets de bronze semblables à des lions
accroupis. Aux murailles lambrissées sont des portraits qui nous regardent avec
un air soupçonneux ; notre hôte et notre hôtesse ont une compagnie à
souper ; ils célèbrent la Noël et nous invitent à nous mettre à table avec
eux. Après le souper, nous sommes conduit à la chambre où nous devons coucher.
C’est une chambre gothique. Nous n’aimons guère le portrait d’un chevalier en
vert qui est au-dessus de la cheminée. Notre lit est un bizarre lit noir, qui a
pour ornements, du côté des pieds, deux sculptures en bois qui sembleraient
avoir été enlevées, exprès pour nous, aux tombes de la chapelle ; mais
nous ne sommes pas un voyageur superstitieux et nous n’y faisons bientôt plus
attention. Nous congédions notre domestique, fermons la porte, et, après nous
être revêtu de notre robe de chambre, nous nous asseyons devant le feu pour
nous livrer à notre rêverie. Nous nous mettons au lit, mais nous ne pouvons
nous endormir ; nous nous agitons et tournons sur nous-même ; c’est
en vain, le sommeil ne vient pas. Les tisons de la cheminée jettent de
capricieuses lueurs qui donnent une teinte lugubre à tout ce qui nous entoure.
Nous ne pouvons nous empêcher de regarder de temps en temps, à travers nos rideaux,
les deux figures du lit et celle qui est au-dessus de la cheminée, le chevalier
vert à la physionomie sinistre. Par l’effet des reflets de la lumière, ces
figures semblent se mouvoir, ce qui n’a rien de gai... quoique nous ne soyons
pas un voyageur superstitieux.
A suivre
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