samedi 9 novembre 2013

L’arbre de Noël Par Charles Dickens 2


Avec quel bonheur je te revois, ô Chaperon rouge ! C’était un bon vêtement pour la saison que le manteau en laine écarlate à l’abri duquel je te vis apparaître, un soir de Noël, lorsque tu vins, ton panier au bras, me raconter la perfidie du loup, cet hypocrite dont l’appétit était si féroce... qu’après avoir mangé ta grand-mère, il put te manger encore toi-même, en faisant cette horrible plaisanterie que vous savez, sur ses dents. La petite fille surnommée le Chaperon rouge fut mes premières amours. Il me semblait que si j’avais pu épouser le Petit Chaperon rouge, j’aurais joui du parfait bonheur. Hélas ! il n’en fut rien ; mais, en souvenir du Petit Chaperon rouge, chaque fois que je faisais la procession des animaux de mon arche de Noé, le loup était toujours mis à la queue de tous les autres, comme un monstre qui devait être dégradé ! Ô ma belle arche de Noé ! je voulus voir un jour si elle tiendrait bien la mer, et elle fit eau dans le lavoir où je tentai l’épreuve. Je l’aurais désirée, parfois, un peu plus large, car mes animaux n’y entraient tous qu’avec peine et en s’entassant les uns sur les autres ; la porte ne se fermait qu’imparfaitement, au moyen d’un loquet en fil de fer : enfin, quelques-unes des bêtes qui y trouvaient leur salut contre le déluge n’étaient pas très solides sur leurs pattes, entre autres l’oie, qui trébuchait continuellement et entraînait, dans sa chute, toutes les créatures mises en équilibre devant elle ; le léopard, l’âne et le cheval avaient une queue dépouillée de sa peinture, qui se réduisait peu à peu à un bout de ficelle. Mais que de chefs-d’œuvre de l’art ! la mouche, presque aussi grosse qu’un éléphant, la bête à bon Dieu, le papillon, et Noé lui-même, avec sa femme et ses enfants, semblables à des ouvriers en tabac !
Silence ! une forêt ! Qui est dans cet arbre ? Ce n’est pas Robin des bois, ni Valentin, frère d’armes d’Orson, ni le Nain jaune, ni aucun de ces personnages de mes premiers livres de contes, dont je ne parlerais pas ; c’est un roi d’Orient, un turban au front, un brillant cimeterre au poing. Par Allah ! il y en a deux, car je vois le second qui regarde par-dessus l’épaule de l’autre. Au pied de l’arbre, sur le gazon, est étendu de tout son long un géant endormi ; un géant noir qui incline sa tête sur les genoux d’une princesse, comme sur son oreiller. À côté est une cage en cristal, garnie de quatre serrures en acier poli, dans laquelle il tient la princesse prisonnière quand il est éveillé. J’aperçois les quatre clefs à sa ceinture. La princesse fait signe aux deux rois dans l’arbre, et ils descendent sans bruit. C’est le début des Mille et Une nuits.
Ah ! désormais, les choses les plus communes deviennent enchantées pour moi. Toutes les lampes sont des lampes merveilleuses ; toutes les bagues sont des talismans ; tous les vases de fleurs sont remplis de trésors cachés sous un peu de terre ; tous les arbres protègent Ali Baba dans leur feuillage. Je voudrais jeter tous les biftecks dans la vallée des Diamants, afin que les pierres précieuses vinssent s’y coller et être transportées ainsi par les aigles dans leurs nids, d’où il n’y aurait plus qu’à les effaroucher avec de grandes clameurs pour s’enrichir. Toutes les tartes sont faites selon la recette du fils du vizir de Bassora, qui se fit pâtissier après avoir été déposé, en caleçon, à la porte de Damas. Les savetiers sont tous des Mustapha qu’on conduit, les yeux bandés, près d’un cadavre coupé en quatre morceaux, afin de les leur faire recoudre. Tout anneau de fer soudé à une pierre indique l’entrée d’une caverne n’attendant plus que le magicien, et toutes les cages sont des volières en bois d’aloès remplies de rossignols. Toutes les dattes importées d’Orient proviennent du même palmier que ce funeste noyau de datte avec lequel le marchand creva l’œil au fils invisible du génie. Toutes les olives ont été produites par celles de la jarre qui servit à convaincre de fraude le marchand d’olives que le Commandeur des Croyants fit juger par un tribunal enfantin ; toutes les pommes ressemblent aux trois pommes qui furent achetées, pour trois sequins, au jardinier du sultan, et dont l’esclave noir avait volé une. Tous les chiens sont de la race de ce chien, ou homme métamorphosé en chien, qui sauta sur le comptoir du boulanger et mit la patte sur la fausse pièce de monnaie ; tous les grains de riz me rappellent le riz que la goule ne pouvait ramasser que grain à grain, à cause de ses festins nocturnes dans le cimetière. Mon cheval à bascule lui-même, – que voici, avec ses naseaux convulsivement retournés pour indiquer sa noble race, – devrait avoir une cheville à son cou pour s’envoler avec moi, à l’exemple du cheval de bois sur lequel s’envola le prince de Perse devant toute la cour de son père.
Oui, tous les objets que je reconnais aux rameaux de mon arbre de Noël brillent de cette merveilleuse lumière. Quand je suis éveillé dans mon lit avant le jour, à cette époque de l’année où la neige blanchit les toits des maisons, j’entends Dinarzade qui répète : « Ma sœur, ma sœur, si vous ne dormez pas, finissez-moi, je vous en prie, l’histoire du jeune roi des Îles-Noires. » Schéhérazade répond : « Si mon seigneur le sultan daigne me laisser vivre un jour de plus, ma sœur, non seulement je finirai cette histoire mais encore je vous en dirai une plus extraordinaire que celle-là. » Alors le gracieux sultan s’éloigne, donnant des ordres pour suspendre l’exécution, et nous respirons tous les trois.

A suivre

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