Tantôt je
distingue sous mon arbre de Noël Robinson Crusoé sur son île déserte, Philip
Quaril parmi les singes, Sandford et Merton, avec M. Barlow ; tantôt des
figures moins familières, qui s’approchent ou reculent dans un vague lointain,
se séparent ou se mêlent ; et puis, résultat de mes terreurs du masque ou
d’une digestion pénible, c’est un cauchemar qui m’oppresse, un fantastique
cauchemar où je retrouve les réminiscences de longues nuits d’hiver, alors que,
pour me punir, on m’envoyait au lit après souper, et que je m’éveillais, au
bout de deux heures, avec la sensation d’avoir dormi deux nuits de suite,
désespérant de voir luire la clarté du matin... oppressé par le poids de mon
remords.
Et
maintenant une rangée de quinquets sort lentement du plancher devant un rideau
vert. Une clochette tinte, – une clochette magique qui résonne encore à mon
oreille comme aucune autre clochette. Une musique se fait entendre au milieu
d’un bourdonnement de voix avec une odeur prononcée d’huile et d’écorces
d’orange. Soudain la clochette magique commande à la musique de se taire ;
le grand rideau vert se relève de lui-même majestueusement, et la pièce
commence ! Le chien fidèle de Montargis vient venger la mort de son
maître, traîtreusement assassiné dans la forêt de Bondy. Un paysan bouffon, à
la trogne rouge et coiffé d’un très petit chapeau, remarque que la sagaticité
du chien est en vérité surprenante. La sagaticité est un mot plaisant
que je n’ai pu oublier, et qui survivra dans ma mémoire aux bons mots les plus
spirituels. Le paysan bouffon fut depuis ce soir-là un ami, quoique, ne l’ayant
pas revu depuis maintes années, je ne puisse vous dire précisément si c’était
le garçon de chambre ou le palefrenier d’une auberge de village. J’assiste
ensuite, en versant des larmes amères, aux malheurs de la pauvre Jane Shore,
qui s’en va, échevelée et mourant de faim, à travers les rues de Londres ;
ou j’apprends comment George Barnwell tua le plus digne des oncles et en eut un
si cruel regret qu’on aurait dû lui faire grâce. Viens me consoler, viens vite,
ô Pantomime, sur ta scène de prodiges, où les clowns sont vomis par les obus et
lancés jusqu’au lustre de la salle, cette brillante constellation ; où les
Arlequins, tout couverts d’écailles d’or pur, rivalisent d’éclat et de
cabrioles avec le poisson volant ; où Pantalon, vénérable vieillard, met
des fers rouges dans ses poches et accuse le clown de l’avoir volé ; où
une transformation succède à une autre, et où, de surprise en surprise, tout
fait croire que tout est facile et que rien n’est impossible. Hélas !
c’est à présent aussi que j’éprouve pour la première fois, pénible
sensation ! combien il est triste, le lendemain, de retourner aux
prosaïques réalités de la vie quotidienne ! Mon imagination me ramène aux
merveilles qui m’ont tant charmé ; je soupire en pensant à la petite fée
avec sa longue baguette, et je voudrais partager son immortalité
féerique ; mais, quoiqu’elle m’apparaisse de nouveau sous diverses formes
parmi les rameaux de mon arbre de Noël, elle disparaît presque aussitôt, et
elle ne consent jamais à demeurer auprès de moi.
Reviens, fée
de mes plus doux enchantements, qui m’as inspiré l’amour du théâtre, même
l’amour du théâtre des marionnettes et jusqu’à celui du théâtre-joujou, avec
son proscenium de carton, ses loges peuplées de poupées, ses décorations à
l’aquarelle et ses acteurs pendus à un fil.
Mais silence
encore ! écoutez la musique des crèches et des modernes confrères de la
Passion 1. Cette musique a interrompu mon
sommeil d’enfant : elle a évoqué autour de ma couchette des images qui
ravissaient ma piété naïve et que je salue encore aujourd’hui avec respect sous
un arbre de Noël. Un ange parle à un groupe de bergers, dans un champ ;
des voyageurs marchent les yeux levés vers le ciel, suivant une étoile ;
un nouveau-né a pour berceau la crèche d’une étable. De graves vieillards sont
réunis dans un temple et un enfant s’entretient avec eux. Une figure
solennelle, avec un visage d’une beauté et d’une douceur ineffables, aide de la
main une jeune fille morte à se relever ; la même figure est debout près
de la porte d’une ville, rappelant à la vie le fils d’une veuve ; vous la
revoyez assise au milieu de la chambre d’une maison, et, par le toit mis à
découvert, on descend jusqu’à elle avec des cordes un malade dans son lit. Une
tempête bouleverse la mer, un navire est sur le point de périr ; la même
figure s’avance sur les flots vers le navire. La voilà sur le rivage enseignant
une multitude. Elle est entourée d’enfants et en tient un sur ses genoux. Elle
rend la vue aux aveugles, la parole aux muets, le mouvement aux paralytiques,
la force aux infirmes, l’intelligence à ceux qui en étaient privés. Enfin, elle
est sur une croix, mourante, entourée de soldats armés ; les ténèbres
s’épaississent ; la terre tremble ; on n’entend plus qu’une voix qui
dit : « Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »
A suivre
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