samedi 16 novembre 2013

L’arbre de Noël Charles Dickens 3

Tantôt je distingue sous mon arbre de Noël Robinson Crusoé sur son île déserte, Philip Quaril parmi les singes, Sandford et Merton, avec M. Barlow ; tantôt des figures moins familières, qui s’approchent ou reculent dans un vague lointain, se séparent ou se mêlent ; et puis, résultat de mes terreurs du masque ou d’une digestion pénible, c’est un cauchemar qui m’oppresse, un fantastique cauchemar où je retrouve les réminiscences de longues nuits d’hiver, alors que, pour me punir, on m’envoyait au lit après souper, et que je m’éveillais, au bout de deux heures, avec la sensation d’avoir dormi deux nuits de suite, désespérant de voir luire la clarté du matin... oppressé par le poids de mon remords.
Et maintenant une rangée de quinquets sort lentement du plancher devant un rideau vert. Une clochette tinte, – une clochette magique qui résonne encore à mon oreille comme aucune autre clochette. Une musique se fait entendre au milieu d’un bourdonnement de voix avec une odeur prononcée d’huile et d’écorces d’orange. Soudain la clochette magique commande à la musique de se taire ; le grand rideau vert se relève de lui-même majestueusement, et la pièce commence ! Le chien fidèle de Montargis vient venger la mort de son maître, traîtreusement assassiné dans la forêt de Bondy. Un paysan bouffon, à la trogne rouge et coiffé d’un très petit chapeau, remarque que la sagaticité du chien est en vérité surprenante. La sagaticité est un mot plaisant que je n’ai pu oublier, et qui survivra dans ma mémoire aux bons mots les plus spirituels. Le paysan bouffon fut depuis ce soir-là un ami, quoique, ne l’ayant pas revu depuis maintes années, je ne puisse vous dire précisément si c’était le garçon de chambre ou le palefrenier d’une auberge de village. J’assiste ensuite, en versant des larmes amères, aux malheurs de la pauvre Jane Shore, qui s’en va, échevelée et mourant de faim, à travers les rues de Londres ; ou j’apprends comment George Barnwell tua le plus digne des oncles et en eut un si cruel regret qu’on aurait dû lui faire grâce. Viens me consoler, viens vite, ô Pantomime, sur ta scène de prodiges, où les clowns sont vomis par les obus et lancés jusqu’au lustre de la salle, cette brillante constellation ; où les Arlequins, tout couverts d’écailles d’or pur, rivalisent d’éclat et de cabrioles avec le poisson volant ; où Pantalon, vénérable vieillard, met des fers rouges dans ses poches et accuse le clown de l’avoir volé ; où une transformation succède à une autre, et où, de surprise en surprise, tout fait croire que tout est facile et que rien n’est impossible. Hélas ! c’est à présent aussi que j’éprouve pour la première fois, pénible sensation ! combien il est triste, le lendemain, de retourner aux prosaïques réalités de la vie quotidienne ! Mon imagination me ramène aux merveilles qui m’ont tant charmé ; je soupire en pensant à la petite fée avec sa longue baguette, et je voudrais partager son immortalité féerique ; mais, quoiqu’elle m’apparaisse de nouveau sous diverses formes parmi les rameaux de mon arbre de Noël, elle disparaît presque aussitôt, et elle ne consent jamais à demeurer auprès de moi.
Reviens, fée de mes plus doux enchantements, qui m’as inspiré l’amour du théâtre, même l’amour du théâtre des marionnettes et jusqu’à celui du théâtre-joujou, avec son proscenium de carton, ses loges peuplées de poupées, ses décorations à l’aquarelle et ses acteurs pendus à un fil.
Mais silence encore ! écoutez la musique des crèches et des modernes confrères de la Passion 1. Cette musique a interrompu mon sommeil d’enfant : elle a évoqué autour de ma couchette des images qui ravissaient ma piété naïve et que je salue encore aujourd’hui avec respect sous un arbre de Noël. Un ange parle à un groupe de bergers, dans un champ ; des voyageurs marchent les yeux levés vers le ciel, suivant une étoile ; un nouveau-né a pour berceau la crèche d’une étable. De graves vieillards sont réunis dans un temple et un enfant s’entretient avec eux. Une figure solennelle, avec un visage d’une beauté et d’une douceur ineffables, aide de la main une jeune fille morte à se relever ; la même figure est debout près de la porte d’une ville, rappelant à la vie le fils d’une veuve ; vous la revoyez assise au milieu de la chambre d’une maison, et, par le toit mis à découvert, on descend jusqu’à elle avec des cordes un malade dans son lit. Une tempête bouleverse la mer, un navire est sur le point de périr ; la même figure s’avance sur les flots vers le navire. La voilà sur le rivage enseignant une multitude. Elle est entourée d’enfants et en tient un sur ses genoux. Elle rend la vue aux aveugles, la parole aux muets, le mouvement aux paralytiques, la force aux infirmes, l’intelligence à ceux qui en étaient privés. Enfin, elle est sur une croix, mourante, entourée de soldats armés ; les ténèbres s’épaississent ; la terre tremble ; on n’entend plus qu’une voix qui dit : « Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »

A suivre

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