samedi 5 mars 2011

Un roman passionnant

Anne-Marie Garat Dans la main du diable Collection Babel du Livre de poche.

Automne 1913. A Paris et ailleurs – de Budapest à la Birmanie en passant par Venise -, une jeune femme intrépide, Gabrielle Demachy, mène une périlleuse enquête d’amour munie, pour tout indice, d’un sulfureux cahier hongrois recelant tous les poisons – des secrets de cœurs au secret-défense.

Habité par les passions, les complots, le crime, l’espionnage, et par toutes les aventures qu’en ce début du XX° siècle vivent simultanément la science, le cinéma ou l’industrie, Dans la main du diable est une ample et voluptueuse fresque qui inscrit les destinées sentimentales de ses personnages dans l’histoire d’une société dont la modernité est en train de bouleverser les repères. (…)

Extrait :

Au musée de l’Académie, Gabrielle était seule aussi, ou presque, à s’attarder dans les salles. Elle avait passé un long moment devant La tempête de Gorgone, inquiète de ne pas comprendre ce qui la retenait, sans cesse sur le point de partir, mais vers quoi ? Vers d’autres salles dont elle ignorait ce qu’elle offriraient…Et elle restait, décidant à tout instant que c’était fini, sans détacher ses yeux du tableau, son esprit parfois plus occupé à s’interroger sur cette pressante envie de partir, qu’à élucider l’attraction bizarre de cette scène champêtre dont le sujet restait énigmatique, et même incertain le format, tantôt immense, débordant sa vue, tantôt réduit à sa miniature, sans savoir si l’effet venait ce qu’elle approchait et s’éloignait de lui, ou de son accommodation variable. De part et d’autres, la femme nue est assise dans l’herbe, un enfant dans ses genoux ; le jeune homme est debout. Qu’attend-il ou garde, et sont-ils ensemble ou séparés ? Si fragiles, et puissants ; dans la beauté luxuriante du décor champêtre, cette paix bouleversante du jardin primitif ; dont les plants s’échelonnent jusqu’aux murailles lointaines d’une ville. Là-bas, un ciel d’orage vrille son éclair. Si lointain qu’il semble silencieux. Qu’annonce-t-il, d’un passé, d’un avenir ? Son regard posé, Gabrielle ne voyait plus qu’un halo flou et vert et de bronze, et parfois se surprenant, abîmée dans son examen silencieux, elle se réveillait, ne sachant plus combien de temps elle s’y était oubliée. L’obstacle à sa résolution de partir était celle qu’elle prenait constamment, en dehors d’elle-même, de ne pas bouger de là tant que ne viendrait pas une réponse, et soudain elle se surprit marchant dans les galeries, glissant le long d’œuvres magistrales auxquelles rien ne l’attachait, ne se souvenant plus de l’instant où elle s’était enfin arrachée à sa fascination.

Elle était seule au musée (Venise), parce que, depuis la veille, elle pouvait laisser Millie…(…)


C’est seulement rendue devant le cycle de Carpaccio consacré à la Légende de sainte Ursule, arrêtée devant le grand tableau du Rêve, qu’elle comprit brusquement ce qu’elle cherchait en vain, tout à l’heure, devant La Tempête. Pourquoi la vision de ce temps immobile l’avait saisie : l’éclair lointain d’un orage qui ne menace que la pensée, la ville au loin et la nature partout, terre et eaux, air et feu du ciel captifs du tableau, composaient un monde plein, qu’aucun plan ne ravissait à l’autre, dans un égal équilibre de présence matérielle. La femme à l’enfant pouvait être une divinité ou une mortelle ; l’homme un berger ou une vigie guerrière, un ange ou un paysan, peu importait : de l’un à l’autre circulaient les puissances qui rendent le monde habitable, vie et mort en guerre, et réconciliées. A l’instant, le tableau de Carpaccio venait de lui donner la réponse, à une autre échelle, dans un autre langage. C’est une chambre où dort, sous le baldaquin festonné, une femme ; longue dans son lit rouge, sa joue posée sur sa main. Elle veille en dormant. L’ange annonciateur s’avance au seuil de sa chambre. Elle accueille en rêve la ligne incurvée de sa robe, de son aile : il tient la palme du martyre. Son ombre le précède, effilée telle une épée dardée vers elle. Si sages ensemble, consentants, et pleins de connaissance. Sur le bord de la fenêtre mi-fermée d’un claustra, l’équilibre parfait des bouquets, l’œillet et la myrrhe. Chaque objet en cite un autre, par secrètes correspondance, signes indéchiffrables dans ce silence lumineux. Plus fort que toutes les réalités, l’imaginaire de vie et de mort, qui transforme le monde, joie et douleur. Car dans le paysage amoureux sont les ruines. Le mur, la colonne : rompus. Au fond du ciel : l’éclair des tempêtes. A leurs pieds : l’effondrement de terrain glissant au gouffre. C’était si étrange qu’un tableau lui parlât de l’autre, si différents dans leur facture et leur format, articulés par le pur hasard de sa déambulation, qu’elle ferma les yeux pour mieux apprendre ce qu’ils enseignaient, ou peut-être ce qu’elle était capable d’apprendre d’elle-même, en cet instant de grâce. (…)

Attention ! Pavé de 1300 pages. Moi, j’ai adoré et quand je pourrais flâner, j’irais chercher les autres livres de cet auteur.

En ce moment mon mari fait des travées dans les murs de la cuisine pour faire passer des fils électriques. Les coins d'ombre dans la nouvelle cuisine n'existeront que si on le désire. Génial ! Mais en attendant un boucan du diable et l'impression que les murs vont s'écrouler ! Et les gravats ! Et la poussière à tous les étages ! Mais bon, sourions. Cela vaut le coup !

Gros bisous à toutes et à bientôt.

6 commentaires:

  1. Voilà un livre qui donne bien envie ...
    J'imagine la poussière et tout le bazar, aïe aïe, patience, ferme les yeux, et tu les r'ouvriras quand tout sera fini, hi hi ...
    Bon courage et gros bisous
    Mamychachat

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  2. Le genre de pavé idéal pour l'été sur une chaise longue...
    Bon courage pour la poussière fine qui se glisse partout, c'est du bonheur !!
    Bisous

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  3. j'aime beaucoup lire bien que pour le moment....

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  4. tu me donnes aussi de lire.. moi qui ne lit plus depuis longtemps!!!! je sais: je passe à côté, mais pas le temps!!!! snifff!!!;-)))
    belle semaine à toi, et merci pour tes passages par chez moi.;;-)))

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  5. Merci pour cette présentation!!!
    Je vais l'emprunter à la médiathèque, il est disponible.

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  6. Je l'ai lu il y a qualques années, j'ai ADORE, il y a deux autres ouvrages du même genre qui suivent, tout aussi jouissifs!!! Certes, ce sont de gros pavés, mais ils se dévorent, tant l'histoire est haletante! J'ai surtout apprécié la très belle écriture d'Anne-Marie Garat, dont j'avais lu auparavant des romans moins épais mais tout aussi bien écrits... Elle est photographe, cela se sent dans son écriture...
    Belle journée, Claudine, à bientôt!!!
    Clarélis

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