samedi 12 octobre 2013

La rafale par Sylva Clapin I et 2

La rafale par Sylva CLAPIN
I
LA PORTE du pénitencier s’ouvrit toute grande et Jean Dutras se trouva libre, sur le chemin du roi se déroulant tout droit devant lui.
Un instant, il resta indécis, et ses yeux, faits depuis si longtemps aux préaux sombres de la prison, clignotèrent dans la grande lumière d’août. Puis, subitement, il s’éloigna, marchant à grandes enjambées, dans la hâte de sortir du village, de gagner la campagne, surtout de voir disparaître au plus tôt l’horrible mur de pierre derrière lequel lui, Jean Dutras, l’ex-forçat, avait perdu durant cinq ans jusqu’à son propre nom pour ne plus être qu’un numéro, le n° 213.
Et maintenant, il était libre. On venait de lui signifier son congé. Il avait payé sa dette à la société, et il pouvait, tout comme un autre, lever la tête et s’emplir les poumons de la tiédeur de cette splendide journée d’été. Dieu ! que c’était bon !
Jean Dutras était un beau et grand garçon de vingt-cinq ans, de forte carrure et au regard naturellement fier et droit. Mais la flamme de gaieté qui autrefois animait son visage avait maintenant disparu, et un pli dur et haineux creusait le large front, rappelant le calvaire gravi depuis cinq ans...
Il avait payé sa dette, et il serait désormais un honnête homme. Cela, il se l’était promis bien des fois, durant les nuits interminables où le souvenir de sa honte le tenait éveillé. Il l’avait surtout promis à sa pauvre mère, dont le portrait, enfermé dans un vieux portefeuille, ne le quittait pas, et qui avait manqué mourir de douleur en apprenant que son Jean, son petit Jean aux cheveux bouclés, avait été condamné, pour faux en écritures, à cinq ans de pénitencier.
II
De Saint-Vincent de Paul à Montréal, cela fait, avec les détours, un joli bout de route. Jean Dutras aurait pu prendre le chemin de fer. Mais il préféra se rendre à pied, tout au ravissement de ce plein air où sa poitrine de libéré se dilatait à l’aise. Et c’était, à chaque pas – car il était homme des champs et fils de cultivateurs – une extase de tous ses sens devant la verdure, les fleurs, le dôme des bois, ou encore les récoltes ondulant sous la brise jusqu’aux extrêmes limites de l’horizon.
La nuit tombait, comme il touchait aux premières maisons de Montréal. Il remit au lendemain la visite qu’il voulait faire à son frère Félix, avocat très lancé et ayant ses bureaux sur la Place d’Armes, et il alla demander gîte et couvert dans un petit hôtel du Mile-End. Du reste, il pouvait payer largement son écot, et même, avec l’argent qu’on lui avait remis en partant de prison, pour sa part de travail durant ses années de détention, il lui restait, comme on dit, suffisamment de quoi se retourner.
Le lendemain matin, il descendit en tramway la rue Saint-Laurent, et à mesure que l’instant s’approchait de la visite à son frère, certaines difficultés se précisèrent qu’il n’avait pas aperçues tout d’abord. Au fait, ce frère, de quatre ans plus âgé que lui, verrait bien, à son accent de conviction, que sa détermination de se bien conduire à l’avenir était sincère, et il ne pouvait faire autrement que lui tendre les bras.
Cependant, ayant jeté un coup d’œil sur sa mise tant soit peu râpée, il jugea plus prudent, avant d’affronter cette épreuve, de rafraîchir sa toilette. Il entra chez un fripier, et pour quelques dollars réussit à se donner des dehors fort convenables. Cela fait, il monta résolument la Côte Saint-Lambert, et peu après pénétrait dans l’édifice du N.Y. Life et se faisait conduire chez son frère.

A suivre...

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