vendredi 6 mai 2011

Au coeur des mythologies (1)

Cette légende - ou plutôt ce conte car il devint très vite un conte - est mentionnée par Apulée, auteur latin du II° siècle après J.-C. dans un long ouvrage, intitulé Les Métamorphoses ou l'Ane d'or. Au cours de ce livre, le héros principal, homme métamorphosé en âne, en proie aux aventures les plus cocasses mais aussi les plus symboliques, entend de la bouche d'une vieille servante, le récit des amours d'Eros et de Psyché.


Psyché est le nom grec de l'âme. Elle était fille de roi et elle avait deux sœurs. Mais elle était de loin la plus belle des trois, si belle et si radieuse que les prétendants venaient de tous les coins du monde pour l'admirer. Pourtant, dès qu'il l'apercevait, chaque prétendant se sentait comme paralysé : jamais une telle beauté ne pourrait lui être donnée en mariage. Et aucun n'osait la demander. Son père le roi se lamentait d'un tel destin : la beauté de sa fille allait-elle justement causer tous ses malheurs et ruiner leur vie ? Désespérée, il décida de consulter l'oracle et l'oracle lui prescrivit ceci :
"Place sur un rocher, au haut d'une montagne, la jeune fille pompeusement parée pour un funèbre hymen. N'espère point un gendre issu d'un sang mortel, mais un monstre affreux, cruel et implacable, qui, porté sur des ailes à travers l'espace, sème le trouble en tous lieux, promène partout le fer et la flamme, qui fait trembler Jupiter lui-même, qui est l'effroi des dieux, et devant qui le fleuve ténébreux du Styx recule d'épouvante."
APULEE, les Métamorphoses, trad. P. Valette

Le Pauvre roi fut effaré d'une tel oracle mais il se résigna à l'exécuter. Avec sa femme, il habilla sa fille de ses habits de noces, la mena jusqu'au rocher fatal et s'en alla sans même oser se retourner. Psyché qui connaissait l'oracle, attendit, immobile, la venue de l'horrible monstre. Mais personne ne vint. Elle sentit seulement un vent léger la soulever dans les airs le long de la paroi rocheuse et la déposer dans un vallon ombragé où un palais merveilleux l'attendait.
Psyché regarde, admire, s'étonne. Quel être divin habite donc un tel palais ? Ses salles sont désertes et Psyché s'interroge quand une voix invisible murmure à son oreille : "Ce palais est le tien. Ta chambre t'y attend. Tous tes vœux seront exaucés. Ordonne et je serais ta servante invisible." De fait, à mesure que Psyché parcourt le palais, les portes s'ouvrent devant elle, une douce musique résonne dans les salles. Elle aperçoit sa chambre. C'est là, sans doute, que va venir l'horrible monstre auquel elle est promise. Et Psyché frissonne de peur et d'angoisse, au milieu des splendeurs et des richesses qui l'entourent.
Le soir vint. Psyché sentit alors près d'elle et sur son corps la présence et le poids d'un être entièrement invisible. Elle devint sa femme et son mari inconnu lui dit : "Chaque soir je viendrai et chaque aube je repartirai. Ne cherche jamais à savoir qui je suis et ne cherche jamais à me voir. Ne cherche pas non plus à revoir tes parents ni tes soeurs sinon la ruine et le malheur nous sépareraient à jamais. "
Psyché vécut ainsi un certain temps. Chaque soir son époux la pressait dans ses bras et repartait avant que le jour ne se lève. Psyché, seule tout au long de la journée, se languissait dans la demeure féérique. Et une nuit, elle fit promettre à son époux de l'autoriser à revoir ses soeurs.
Quand les soeurs de Psyché, qui étaient venues se lamenter près du rocher où on la croyait morte, virent dans quel lieu elle vivait, elle en conçurent une terrible jalousie. Elles devinèrent surtout par des questions adroites, que Psyché leur cachait un mystère et qu'elle n'avait jamais vu son mari. En apprenant qu'elle était enceinte de lui, elle lui dirent !:"Psyché, nous t'aimons trop pour ne pas te parler sincèrement. Le secret de la nuit doit cacher quelques graves mystères. Tu dois savoir qui est le père de ton enfant. Ne serait-ce pas le monstre affreux auquel t'avait promise l'oracle ? Dans ce cas, tu ne peux le laisser vivre une nuit de plus. Quant il viendra ce soir, cache une lampe et tâche de savoir qui il est. Et dès que tu le verras endormi, tue-le aussitôt."
Psyché, impressionnée par les paroles de ses sœurs, suivit exactement leur conseil. Elle dissimula une lampe sous le lit et quand l'époux se fut endormi à ses côtés, elle prit la lampe et la leva. Mais au lieu du monstre affreux qu'elle s'attendait à voir, elle demeura muette de stupeur et de joie, car ce qu'elle voyait, c'était une créature de rêve qu'elle ne se lassait pas de contempler :

"Elle admire cette tête éblouissante, cette opulente chevelure ruisselante d'ambroisie, ce cou d'une blancheur de lait, ces joues d'un vif incarnat, ces boucles de cheveux qui, dans un gracieux négligé, retombaient les unes sur le front, les autres en arrière. Leur éclat était si flamboyant qu'il faisait vaciller la lumière même de la lampe. Aux épaules du dieu volage brillent des ailes couleur de rose et, bien que ces ailes soient en repos; les plumes légères et délicates qui les bordent s'agitent avec un voluptueux frémissement. Le reste du corps est lisse et de toute beauté, tel enfin que Vénus n'avait point à regretter de l'avoir mis au monde.
Au pied du lit gisaient un arc, un carquois et des flèches, armes propices du dieu puissant."
APULEE Les métamorphoses, trad. P. Vallette

Psyché regarde sans pouvoir s'en rassasier, l'époux merveilleux qui n'est autre qu'Amour. Elle en oublie le temps et la lampe qui brûle et voici qu'une goutte d'huile tombe sur le dieu et le réveille. Et le dieu trahi, dévoilé, s'envole aussitôt vers le ciel. De ce jour commencèrent les errances de Psyché à la recherche de l'Amour perdu.
Amour - ou Cupidon - était fils de Vénus. Sa mère, jalouse de la beauté de Psyché, avait chargé son fils de la percer de ses flèches terribles et de lui faire aimer l'homme le plus laid du monde. Amour avait donc voler vers Psyché pour la frapper de ses traits, lorsqu'elle était exposée sur le rocher, mais à sa vue il en devint lui-même amoureux ! Il ne pouvait se détacher de cette créatures si parfaite qu'elle égalait et dépassait jusqu'aux déesses. Et voici qu'à présent, la curiosité de son amante le séparait d'elle à jamais !
Le vengeance de Vénus va poursuivre Psyché. Elle part à sa recherche et Psyché, après avoir en vain demandé la protection de Cérès (Déméter) et de Junon (Héra), en est réduite à venir la supplier. Elle se présente aux portes de son palais et Vénus en fait son esclave, une esclave qu'elle va condamner aux plus difficiles et aux plus dangereuses besognes. Ainsi en est-il de l'âme engluée dans les passions matérielles et terrestres, de l'âme en proie à la curiosité qui a violé les interdits des dieux...
Vénus ordonna d'abord à Psyché de trier un immense plat de grains de toute sorte qu'il fallait séparer selon leur nature...Travail impossible que jamais Psyché n'eût pu mener à bien si des fourmis n'étaient venus à son aide. En un instant, les grains furent séparés en tas distincts.
Après quoi, Vénus lui ordonna de rapporter les toisons d'or de brebis paissant près du palais. Alors les roseaux vinrent en aide à Psyché et la conseillèrent pour obtenir sans danger les flocons d'or des précieuses toisons. Furieuse de voir qu'elle avait de nouveau réussi cette épreuve, Vénus lui imposa d'aller puiser de l'eau dans le Styx, le fleuve infernal. Les sources de ce fleuve se trouvaient près d'un rocher inaccessible, gardé par des dragons féroces. Psyché allait renoncer à cette tâche impossible pour elle quand l'aigle de Zeus l'aperçut et la prit en pitié. Il alla lui-même puiser de l'eau qu'il remit à Psyché.
Vénus comprit que Psyché bénéficiait de complicités divines et décida de la soumettre alors à la plus terrible et la plus dangereuse des épreuves : descendre dans les Enfers et rapporter une boîte d'onguent magique qui lui fournirait Proserpine (Perséphone). Cette fois, Psyché s'abandonna au désespoir. Jamais elle ne pourrait aller jusqu'aux Enfers et jamais, en tout cas, en revenir vivante ! Trop d'obstacles, trop de monstres se dressaient sur la troute menant au royaume des morts. Aussi, avisant une tour, y monta-t-elle avec l'intention de se jeter dans le vide et d'en finir avec cette vie d'épreuves. Mais la tour la prit en pitié elle aussi et lui expliqua - car cette tour parlait -le moyen de pénétrer dans les Enfers et de venir à bout des monstres.
Psyché put franchir ainsi les multiples obstacles de sa route, se faire remettre par Proserpine l'onguent réclamé par Vénus et revenir au jour. Mais là encore, elle ne peut résister à la curiosité. Qu'y avait-il donc dans cette boîte ? Elle l'ouvrit et un sommeil mortel tomba sur elle. Victime une fois de plus de sa curiosité, Psyché s'affala sur le sol, inanimée.
Elle serait sans aucun doute descendue à jamais dans le sombre royaume des Enfers si Amour n'était parti à sa recherche. Il la voit étendue sur le sol, il comprend le drame et court rattraper le sommeil qu'il enferme dans la boîte maudite. Aussitôt, Psyché revient à elle et reconnaît Amour. Et celui-ci, ivre de joie, court trouver Zeus et lui arrache la promesse de le laisser épouser Psyché.


Le sort de l'âme n'est-il pas celui de l'homme? Celui-ci ne quête-t-il pas cette part divine qu'il sait enclose dans sa chair dont sa curiosité première l'a privé, en lui faisant violer l'interdit formulé par Dieu ? Ainsi les mythes décrivent-ils l'aventure de l'homme : façonné par un dieu mais rivé par sa faute à cette terre lourde et grossière, nanti d'une âme immortelle prisonnière d'un corps mortel, il lui faudra, pour retrouver la condition paradisiaque primitive, surmonter les épreuves dressées sur sa route, dont chacune le purifiera de ses éléments matériels : vaincre les dragons, savoir dominer ses passions et ne pas écouter les Sirènes, respecter les interdits, les secrets et ne pas cueillir le fruit défendu ou enlever les troupeaux du Soleil.
Ainsi seulement, en sachant se vaincre lui-même, l'homme pourra espérer vaincre également la mort et accéder à l'immortalité. Dragons, sirènes, monstres, chemins semés d'embûches des Enfers, regard pétrifiant de Méduse, roches errantes, eaux d'immortalité, toison d'or, n'êtes-vous pas au fond les alliés - et non les ennemis - de l'homme puisque sans vous il ne pourrait acquérir les vertus suprêmes lui permettant de retrouver le ciel et le bonheur perdus ?

Jacques Lacarrière

3 commentaires:

  1. Je lis avec plaisir que tu occupes ta pause avec de belles lecture Claudine, merci d'en partage quelques passages avec nous.

    Gros bisous et à bientôt.

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  2. une des plus jolies sculptures du louvre (pour moi !) représente le baiser de Psychée et Eros de Canova... Merci pour cette lecture qui réveille des souvenirs de cours de fac... biz du soir !

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