mercredi 4 mai 2011

Une histoire

Patrick Burensteinas
"Le disciple" Recueil de trois contes alchimiques

Il était une fois une princesse d'une beauté sans égale. Aussi bien dans son corps que dans sa mise, tout était parfait, sauf peut-être de curieuses pantoufles qu'elle portait à ses pieds mignons. Ces pantoufles étaient un cadeau de son époux.

Le roi était un malin et aimait collectionner les beaux objets, il possédait un des plus beau zoo du monde. Ses cages étaient si belles que les animaux croyaient être heureux. Pour garder sa jeune épouse, il avait imaginé une cage plus belle encore. Avec l'aide d'un démon, il confectionna des pantoufles magiques. Ces pantoufles avaient comme curieuse vertu de faire oublier à la princesse ce qu'elle avait vécu la veille. Et tous les matins en les chaussant, elle oubliait tous ses tracas, mais aussi tous ses rêves.
Et la vie s'écoulait semblable à chaque jour et quoi qu'il ait bien pu se passer, comme la princesse l'oubliait, cela n'avait aucune importance. Le roi était content, la princesse s'occupait avec diligence de ses enfants, et lui, il pouvait aller chasser, ou rencontrer une de ses nombreuses maîtresses, la princesse oubliait...

Un jour pourtant au cours d'un bal, la princesse rencontra un curieux personnage, c'était Croque-Lune le sorcier. Ah ! celui-là ! il avait tout fait, traité avec les plus noirs démons pour assouvir ses désirs les plus sombres. Il était là, entouré de sa cour, et satisfait de lui, tout vaniteux qu'il était. Alors il la vit, et le temps s'arrêta.

Elle était là, toute de blanc vêtue, irradiant une lumière irréelle. Son regard d'eau pure était planté dans le sien. Le cœur de Croque-Lune cessa de battre. Ce coeur de pierre insensible s'ouvrit comme une fleur insoupçonnée, et l'Amour l'envahit. C'était une sensation étrange et pourtant délicieuse. Une douce chaleur irradiait tout son être, lui qui avait toujours si froid. Un autre être que lui comptait. En un instant, toutes ses noires pensées s'envolèrent, remplacées par de blancs papillons. Mais que faire ? Le roi était là. Alors il se résigna à remettre à plus tard sa rencontre avec elle.
La vie s'écoulait chaque jour semblable à chaque jour, et quoi qu'il ait bien pu se passer, comme la princesse l'oubliait, cela n'avait aucune importance.
Le sorcier était rêveur, ses formules ne marchaient plus, les grimoires n'avaient plus l'intérêt d'antan. En un mot, il était amoureux. Lui, amoureux ? Quelle horreur !...Et pourtant rien n'y faisait, il ne cessait de penser à le princesse.

Un jour béni, un messager porta un message au sorcier. La princesse voulait le voir, pour le consulter, disait-elle, sur les augures. Le sorcier vit là un signe du destin, et sans manger, sans boire et sans dormir, il attendit sa princesse.

Elle vint.

Et quant il la vit, elle était encore plus belle que dans ses souvenirs. Bouche bée, il la contempla. Lui qui avait parcouru tant de mondes n'avait pourtant jamais rien vu de si beau, de si émouvant. Et l'impensable se produisit. La princesse, dans un souffle, s'approcha de lui. Elles lui prit la main. Le temps avait disparu, l'univers cessa de tourner. plus rien n'existait au monde que ces deux êtres qui n'en faisaient plus qu'un. Un baiser de braise irradia leurs deux corps. L'évidence était là, ils étaient faits l'un pour l'autre.

Le temps reprit son cours...Les amants se séparèrent en échangeant mille promesses...

Le sorcier, plus joyeux qu'il ne le fut jamais, se leva ce matin-là. Pour la première fois de sa longue longue vie, il était heureux. Il n'avait pas l'air heureux, non, non, il était heureux. Il pensait sans arrêt à sa merveilleuse princesse. Il descendit dans son antre pour y faire le ménage. Toutes ces choses noires n'avaient plus de sens, il chassa les démons, jeta tous ses poisons. Grigris, charmes et sortilèges finirent au dépotoir. Il mit des fleurs, ouvrit les fenêtres, et la lumière pénétra pour la première fois dans des lieux jadis sombres.
Et c'est l'esprit joyeux qu'il partit au palais, le roi étant absent, pour aller voir sa princesse.

Il se présenta à la porte et frappa.

Frappa, frappa, frappa...

Pas de réponse. Il insista, et craignant pour la princesse, entra dans le palais. Un garde se précipita.
-Quel est l'objet de ta visite sorcier ?
-Je viens voir la princesse.
-La princesse ne connaît aucun sorcier.
-Va donc lui dire que Croque-Lune la demande.
-Ne bouge pas de là, je reviens.
Le sorcier amusé par ce léger contretemps imaginait déjà la déconvenue dur garde en riant sous cape.
Le garde revint.
-J'avais raison, sorcier, la princesse ne te connaît pas, elle s'occupe de ses enfants et ne veut pas être dérangés. Va-t-en sorcier.

Le monde s'écroulait. Abasourdi par le choc, il quitta le château en titubant. Et c'est le regard voilé par les larmes qu'il regagna son antre.

Et la vie s'écoulait chaque jour semblable à chaque jour et quoi qu'il ait bien pu se passer, comme la princesse l'oubliait, cela n'avait aucune importance.

Croque-Lune n'avait plus goût à rien. Il ne mangeait plus, ne dormait plus. La souffrance était si grande qu'il appelait la mort de tous ses vœux. Même elle refusait de venir. Une fois encore, il était seul, si seul. Il y avait cru pourtant à sa jolie princesse. Lui qui avait vu tant de choses, parcouru tant de mondes, ne se souvenait que d'elle. Plus rien n'avait d'importance, elle occupait toutes ses pensées. Elle était dans chacun de ses souffles, chaque battements de son cœur. Quant il essayait de l'oublier, en ses promenant dans la forêt, elle était dans chaque fleur, dans le moindre brin d'herbe. Et même quant il voulut s'aveugler en regardant le soleil, il vit son visage, son tendre visage rayonnant de lumière.

Alors qu'il était sur le bord d'une rivière, assis sur une grosse pierre, il entendit un bruit dans l'onde. L'eau en coulant murmurait :
Les pantoufles...les pantoufles...
"Quoi, les pantoufles ?" pensa le magicien.
Et il se souvint d'un détail. La princesse portait toujours de curieuses pantoufles. Il aurait dû les remarquer plus tôt, elles étaient si vieilles et toutes rapiécées. Pourquoi une si jolie princesse portait-elle de si vilaines pantoufles ? Pris d'un doute, il se précipita dans son laboratoire. Cela faisait si longtemps qu'il n'y était pas venu que tout était couvert de poussières. Il fouilla, chercha et trouva le grimoire.
"Pantoufle, pantoufle, ah ! voilà ! Je le savais, dit-il, elle porte les pantoufles de l'oubli."
Voilà qui expliquait tout. Mais comment lui faire quitter ces pantoufles ? Elle y était tellement habituée. Et que lui mettre d'autre aux pieds ? Une princesse ne pouvait aller pieds nus.

Croque-Lune décida de faire les plus belles bottines que la terre ait jamais portées. Pour le cuir, il prit un morceau de son cœur qu'il tanna longuement. Sa belle sautait alors que son cœur était à ses pieds, et que dans toutes circonstances elle pourrait s'appuyer sur lui. Il en tapissa l'intérieur de ses rêves les plus fins pour qu'ils soient au contact de son corps. Pour les lacets, il utilisa ses nerfs pour qu'ils puissent vibrer à chaque pression de ses doigts. Ses bottines sous le bras, il prit le chemin du château.
-Bonjour, dit-il au garde, j'ai un cadeau pour la princesse.
Le garde prévint la princesse qui, intriguée, fit venir le magicien.
-Mes hommages princesse, j'ai remarquée que vos pantoufles étaient bien usées, me permettriez-vous de vous offrir ces bottines ?
-Changer mes pantoufles ! s'exclama-t-elle. Vous n'y pensez pas ! Je suis si bien dedans, elles sont si chaudes, si confortables et j'y suis tellement habituée.
-Essayez mes bottines, dit le magicien, vous reprendrez vos pantoufles après.
Le princesse était curieuse. Elle décida donc de tenter l'expérience.
Elle retira ses pantoufles et chaussa les bottines.

Un voile sembla se lever de ses yeux. Elle reconnut le magicien, et en un même élan, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Les larmes coulèrent. Mais c'étaient des larmes de joie. Le magicien avait oublié toutes ses peines, toutes ses souffrances. Elle était là, dans ses bras et il était le plus heureux des hommes.
Main dans la main, ils partirent, explorant le monde et faisant mille projets. Par la souffrance le sorcier était devenu magicien, et par l'amour, le magicien était devenu un homme.

En haut de la plus grande montagne, ils entonnèrent un chant. C'était le plus beau chant que le monde ait jamais entendu. Leurs voix mêlées ne faisaient plus qu'une. Ce chant était les rivières, les montagnes. Il était la tendresse d'une mère, la caresse du vent sur les blés. Il était le parfum du gâteau dans le four. Il était les retrouvailles des êtres séparés. Il était la naissance d'un monde. Il était l'Amour.
Et c'est en paix qu'ils quittèrent ce lieu désormais magique.

Mais le roi veillait.
A la vue des pantoufles, il entra dans une colère noire. "Comment a-t-elle pu me faire ça, à moi ! Ne l'ai-je pas toujours bien traitée ? Ne lui ai-je pas toujours évité tous les tracas ? Ah ! Ca ne se passera pas comme ça. Aucune pièce ne quitte ma collection. "

La princesse quitta Croque-Lune avec mille baisers. Ils promirent de se retrouver très vite.
De retour au château, le roi attendait la princesse.
-Bonjour ! lui dit-il, tout miel. Tu as de bien belles bottines, et elles semblent bien neuves. Ne te font-elles pas mal aux pieds ?
La princesse réfléchit et répondit :
-Si, un peu, mais avec de la patience je les ferai bien à mon pied.
De la patience, pensa le roi, j'en ai plus que toi.
Et il lui souhaita bonne nuit.

Le matin en se réveillant, la princesse chaussa ses bottines et partit rejoindre le magicien. En chemin, elle croisa le roi qui lui dit :
-Bonjour, princesse ! Comme te voilà partie de bon matin, si guillerette, avec tes bottines neuves. Elles ne te font pas trop mal aux pieds ?
-Si, un peu, avoua-t-elle, mais avec un peu de patience, je les ferai bien à mon pied.

De la patience, pensa le roi, j'en ai plus que toi.
Et il lui souhaita bonjour.

Croque-Lune retrouva sa princesse. Il remarqua tout de suite qu'elle semblait boiter.
-Qu'as-tu ? mais tu boîtes !
-Oui, dit-elle, tes bottines me font un peu mal.
-Oh ! Ce doit être le cuir qui est un peu raide. Il faut dire que le cœur dont il provient était un peu dur. Mais avec un peu de patience, il ne demandera qu'à s'attendrir.
Le magicien sortit un onguent de sa poche et avec tout l'amour dont il était capable, il massa les pieds blessés. Et ils partirent heureux.

Pourtant Croque-Lune était un peu inquiet. Et si la princesse se blessait ? Et si elle jetait ses bottines ? C'est pourquoi il l'entoura de mille attentions. Il surveillait chaque pas, chaque geste, guettant le moindre signe, la moindre irritation. Rien n'importait plus que les pas de sa belle. Il en oubliait même de regarder son propre chemin. C'est avec crainte que chaque soir, il la voyait partir, et avec soulagement que chaque matin, il la voyait revenir les bottines à ses pieds.

Et un matin, elle ne vint pas.
Croque-Lune attendit longuement. Attendit...Attendit...Rempli d'angoisse, il décida de se rendre au château. Là, à bout de souffle, il frappa à la porte.
-Qui va là ? dit le garde.
-C'est Croque-Lune, le magicien. Va dire à la princesse que je l'attends.
Le garde partit, et revint.
-Désolé, sorcier, la princesse ne te connaît pas, elle s'occupe de ses enfants et ne veut pas être dérangée. Va-t-en sorcier. Ah ! Le roi m'a remis ce paquet pour toi.
Et il tendit à Croque-Lune un sac dans lequel étaient les bottines.
La porte se referma.

Elle avait remis les pantoufles.
Elle n'avait pas eu la patience de faire les bottines à ses pieds.
C'est vrai que les pantoufles étaient plus confortables, plus chaudes, et qu'elle oubliait tous ses tracas, mais elle oubliait aussi tous ses rêves.

Et la vie s'écoulait chaque jour semblable à chaque jour et quoi qu'il ait bien pu se passer, comme la princesse l'oubliait, cela n'avait aucune importance.

Croque-Lune redevint le sorcier qu'il avait cessé d'être. Il reprit ses grigris, ses sorts et ses grimoires, rouvrit son laboratoire. Le jour, il donnait ses potions, ses conseils et ses philtres. Mais la nuit alors que tout le monde dormait, il se rendait dans une pièce secrète. Là, seul avec lui-même, il contemplait tendrement les bottines en pensant que jamais sa belle ne les porterait. Et il pleurait, pleurait, pleurait....


J'espère que ça vous a plu.
Bisous à toutes

3 commentaires:

  1. Bonne pause alors!!!! Bizous

    RépondreSupprimer
  2. pas eut le temps de tout lire.. mais j'aime bien ces contes.;;-))))

    RépondreSupprimer
  3. Les histoires d'amour peuvent finir mal... mais c'est triste... conclusion : mieux vaut garder des bottines qui font mal aux pieds et avoir une bonne mémoire !
    Merci pour cette histoire, j'adore !
    Gros bisous

    RépondreSupprimer